Pourvu que j'arrive quelque part...

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La musique s'est arrêtée l'espace d'une seconde pour repartir sur un rythme complètement différent, nous tirant, Mad et moi, de cet étrange instant qui s'était installé entre nous. Il me redresse et détourne le regard, je détourne le miens également. Je ne comprends pas trop comment on en est arrivés là mais la question que je me pose surtout c'est : m'aurait-il embrassé si la musique ne s'était pas arrêtée ? J'y réfléchis, j'y cogite tant et si bien que je ne remarque pas que Mad s'est éclipsé pour reprendre son rôle de serveur. Je suis troublée, ce qui a failli se produire me perturbe. Tout à coup, deux mains se posent avec douceur sur mes hanches et je sens le buste de quelqu'un se coller contre mon dos. Ses lèvres étirées en un large sourire, sa voix parvient à se frayer un chemin jusqu'à mon esprit.

- Maintenant que tu as fini de boire le thé avec le chapelier, peut-être as-tu un peu de temps à me consacrer ?

La musique est vive, les gens se tortillent autour de nous pourtant, personne ne nous bouscule ni ne nous frôle, c'est comme si Chess et moi étions dans une sorte de bulle, un monde caché dans le monde qui ne peut être emprunté que de nous. Encore sous l'émotion de l'instant précédent, je ne cherche pas à me détacher de lui ou à fuir son contact, je dirai même qu'une petite partie de moi semble l'apprécier. Les yeux dans le vide, son corps ondulant contre le miens, je me décide à lui répondre mais cette fois, je ne serai pas agressive.

- Ce rôle te va comme un gant, toi qui te permets de dévisager les gens et d'apparaître sans qu'on s'y attende.

J'ai dit que je ne serai pas agressive, je n'ai pas dit que mes paroles seraient forcément tendres. Un léger rire lui échappe, je le sais puisque ce dernier fait vibrer son torse mais hélas, à cause de la musique, je n'ai pas le plaisir de l'entendre de mes propres oreilles. Chess se détache soudainement de moi et me saisit par le poignet, m'entraînant à sa suite dans la marée humaine. Nous nous faufilons tant bien que mal jusqu'à ce qu'il finisse par me traîner dehors. L'air frais me mordille le visage tandis que j'observe, un peu perplexe, un Chess qui s'assied comme ça subitement, sur le trottoir. Ok pourquoi pas. D'un geste vif, n'ayant pas lâché mon poignet, il m'attire d'un coup sec à lui me forçant ainsi à m'asseoir à califourchon sur ses cuisses. Je pique un fard monumental et ne réussis absolument pas à le regarder droit dans les yeux. C'est gênant. Très gênant. Mais je ne bouge pas. Je n'y arrive pas ou peut-être que je ne le veux pas au fond ? Je ne sais pas. Je ne sais plus.

- Je suis aussi confortable que Mad ?

Hein ?! De quoi il parle ? Attends...ce n'est pas possible qu'il parle de hier soir. A moins que...que cet imbécile de Mad se soit vanté d'avoir pris Alice la cruche entre ses pattes de malotru ! Ou alors c'est Lou ? Non je n'imagine pas Lou commencé à faire des commérages. Donc c'est forcément Mad...Il va m'entendre celui-là. Enfin...quand on m'aura libérée. Non sans difficulté, je relève la tête et affronte son regard violacé. Je déglutis pour me donner du courage car face à son regard si intense, je perds mes moyens.

- Je ne vois pas en quoi ça te regarde mais...oui tu es confortable.

Non mais franchement c'est quoi cette conversation bizarre ? On dirait les prémices d'un mauvais film pornographique !

- Pourquoi tu vis chez Lou ?

Sa question me surprend réellement si bien que je ne me gêne pas pour le dévisager mais il semble sincèrement curieux.

- Je vivais en colocation avec ma meilleure amie sauf qu'elle a eu une opportunité exceptionnelle niveau professionnel et elle a dû partir. Je me suis retrouvée seule, du coup, Lou s'est proposé de m'héberger. C'est tout.

Repenser à Madeleine me fait ressentir un pincement au cœur pourtant je ne montre rien, restant le plus neutre possible face à ses deux iris violets qui me sondent. Je l'observe à mon tour, il me semble qu'il réfléchit.

- Mad te plaît ?

Non mais c'est quoi ces questions ?! Je suis là, assise sur les cuisses d'un type que je connais à peine, dans une position plus qu'équivoque, sur un bout de trottoir à subir des questions sans liens entre elles ! et lui ?! Il me regarde normalement, ne se démonte absolument pas. Ils sont timbrés dans ce bar c'est pas possible autrement.

- J'en sais rien. Je suppose oui un peu.

Je ne viens pas de dire ça quand même ? Si ? Oh je me déteste ! Parfois ma bouche dit des choses sans mon consentement et je vous jure que c'est très pénible. Chess ne bronche pas pourtant, il me semble sentir qu'il est moins détendu qu'avant, c'est presque imperceptible mais, je le sens. Son sourire si particulier refait son apparition et, du bout des doigts, je le vois saisir l'une de mes mèches de cheveux, l'entortillant et la caressant avec une douceur qui me surprend.

- J'adore cette couleur et puis, ça te va tellement bien.

Nous restons là, silencieux, Chess perdu dans la contemplation de ma chevelure, ses yeux en retraçant chaque contour comme un enfant qui viendrait de recevoir le jouet dont il rêvait. Je reste immobile, sans pour autant être figée. Je ne sais pas c'est comme si, finalement, cette situation était naturelle pour nous. Je n'ai pas besoin de parler et lui non plus. Il se perd dans sa contemplation et moi, je me perds dans la mienne. Son visage fin me plaît, son sourire me séduit et son regard me trouble. Merde. Je crois bien qu'il me plaît en fait.

Tout à coup, je sens une main agripper ma tignasse pour me projeter violemment en arrière. Mon dos s'écrase brutalement contre le goudron de la route, m'arrachant une plainte de douleur et lorsque je me relève péniblement, je découvre la reine rouge, vêtue de sa plus belle robe de soirée et qui me fixe avec toute la fureur du monde dans le regard.

- Toi ! La garce aux cheveux de peintures décolorées ! T'as intérêt à ne plus poser tes sales pattes de pouilleuse sur lui ! Sinon la prochaine fois, je te jure que c'est ta tête que je ferai rouler sur la route !

Non mais elle est cinglée celle-là ?! Chess s'interpose entre nous deux, saisissant la folle dingue par le visage. Je devine qu'il lui murmure quelque chose mais je ne reste pas assez longtemps pour essayer d'écouter. Malgré les lancées qui longent ma colonne vertébrale, je me faufile à travers la foule et je trouve refuge dans le vestiaire. Adossée à l'armoire, une main sur la bouche, j'essaie de retrouver mon calme, fermant les yeux pour ignorer la douleur. La sale teigne ! Elle a de la force quand elle est furieuse. En même temps, est-ce que je peux vraiment la blâmer ? Je n'apprécierai pas non plus de voir une fille sur les genoux de mon copain. Mon pouls ralentit, la douleur s'atténue et je retrouve mon calme gentiment. Quelle soirée. Un presque baiser avec Mad. Un échange étrange avec Chess. Une attaque de furie. Décidément, tout est trop intense ici. Je ne sais pas si je vais y survivre. J'entends alors des bruits de pas et relève le visage.

Alors la reine rouge ? On en pense quoi ? Et Chess ? Qui vient donc rejoindre notre petite Alice ?

Wrd'BarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant