Pleurs et amour

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Je frappe à la porte – je suis énervé pas malpoli – et j'entre sans entendre de réponse. J'éclate « Ecoute moi bien Patron. J'en ai plus qu'assez de tes blagues et de tes moqueries perverses ! Je suis faible mais pas stupide, et encore moins... Tu, tu pleures ? Tu... Je... Que ? Enfin... Pourquoi ? ». J'ai l'impression de tomber des nues. Je ne m'y attendais vraiment pas. En fait je pensais que je devrais appeler Mathieu au secours pour m'aider même si ça fait quelques temps que je ne l'ai pas vu sortir de sa chambre. Il me dit calmement « D'habitude vous me fichez la paix parce que vous m'évitez et aujourd'hui tu es la troisième personne à entrer sans y être invité, j'ai raté un truc ? ». « Je... Bah, euh... Je pense pas... D'autres personnes sont venues porter plainte ? » réponds-je hésitant. Il rigole « T'es marrant toi. Math' et la peluche voulaient passer un peu de temps ensembles mais ils étaient tellement concentrés dans ce qu'ils faisaient qu'ils n'ont pas vu qu'ils entraient dans ma chambre et pas dans celle de Mathieu ». « Ah bon ? C'est bizarre, repris-je étonné, mais détourne pas la conversation ! Pourquoi tu pleures ? Explique-moi ! Le liquide que tu avais sur le visage des fois, alors c'était des larmes ? Je... Excuse moi j'avais pensé à autre chose parce... ». Il me coupe « Parce que quoi ? Je suis un monstre sans pitié ? Un gros pervers dégueulasse ? Qu'il vaut mieux rester loin de moi ? Que je suis une bête féroce et impitoyable ? Parce que tout le monde me déteste ? ». J'éclate de rire. C'était sûrement en partie un rire nerveux. Il me regarde interloqué. Je lui explique « D'habitude c'est moi qui dit que tout le monde me déteste, puis redevenant sérieux, dis-moi franchement, ce que tu viens de me dire, tu l'as déjà déballé combien de fois ? ». Il ne répond pas. Aucune, sans aucun doute. Je m'en doutais. En fait il est comme moi. Je croyais qu'il me persécutait parce qu'il aimait ça et que ça lui faisait plaisir de s'attaquer à plus faible, mais c'était surtout une manière de cacher sa sensibilité, de cacher que lui aussi était humain et avait des sentiments et des faiblesses.

Il me regarde, les yeux embués de larmes. Le Patron qui craque. Ça fait vraiment bizarre. Il se lève doucement et s'approche de moi. Ce n'est pas comme d'habitude. Il a abandonné son rôle. C'est son cœur qui le fait avancer. Je le vois à son hésitation et cette question dans ces gestes qui semblent me demander s'il a le droit de s'approcher. Dans ses yeux je ne vois plus cette sorte d'instinct primaire que je voyais, mais de la détresse, et un profond besoin d'amour. Peut-être y est-il déjà avant ? Peut-être étais-je trop trompé par les apparences pour voir sa souffrance ? Cette fois je ne recule pas. Je n'ai plus peur. Je me sens bien, rassuré. Je fais même un pas en avant. Je suis comme hypnotisé par ses gestes, tout en étant parfaitement conscient de ce que je fais. Il attrape doucement mon menton avec une main et pose délicatement ses lèvres sur les miennes. Je n'ai jamais rien senti d'aussi doux. Une vague de bonheur me submerge. J'ai l'impression de flotter. Je pense que je pourrais peut-être même m'envoler. Je mets une main dans son cou pour le rapprocher encore de moi. Je veux réduire la distance qui nous sépare. Je l'embrasse. Encore. Comme si c'était la dernière chose que je faisais avant la fin du monde. Comme si ma vie en dépendait. Comme si cela pouvait m'assurer que je ne connaîtrais plus jamais la souffrance. Je gagne une assurance nouvelle, inconnue. Je me sens libre, et tellement léger.

Alors c'est ça l'amour ?


Le Patron Qui Craque.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant