Chapitre 2

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Je m'assieds autour de l'immense table, sous les regards de tout le personnel présent.
Sur la table, devant le siège de l'homme qui est venu me chercher, se trouve un énorme dossier.

« Je suis le Professeur Aardvark. Je vous remercie April pour votre coopération.

- Pour être honnête, je ne sais pas la raison pour laquelle je suis assise autour de cette table.

- Vous allez alors le découvrir. Faites entrer le jeune homme.

La porte s'ouvre à nouveau.

- Ben... souffle-je

- Monsieur Feetz, veuillez prendre place aux côtés de Mademoiselle Kingsley, s'il vous plaît.

Il s'exécute et s'installe à ma gauche, ne prenant même pas la peine de me regarder. C'est sûrement mieux comme cela.

La salle est très grande et n'est sûrement pas équipée d'un système de chauffage puisque je grelotte sous ma maigre robe. Les quatre murs sont peints d'un blanc aveuglant qui s'accorde merveilleusement bien avec les lumières éblouissantes du plafond. De plus, cette pièce n'a pas de fenêtre.
Cela fait cinq mois que je n'ai pas vu la lumière du jour.

Professeur Aardvark prend l'énorme dossier, et s'adresse à la réunion :

- Mademoiselle Kingsley, voici votre dossier médical. Chaque information est notée puis conservée ici. Ben Feetz, ici présent, vient de me transmettre l'existence d'un tatouage sur votre cuisse droite.

- N'en faites-vous pas un peu trop pour un simple tatouage ?

- Que signifie-t-il ?

- Pourquoi voulez-vous absolument le savoir ?

Il ne répond pas tout de suite et se masse les paupières nerveusement. Il cherche ses mots avant de dire :

- Nous voulons simplement vous soigner. Chaque indice, chaque information, chaque chose futile peut nous permettre d'avancer et de trouver la solution pour que vous alliez mieux.

Moi aussi, je prends le temps de trouver mes mots. Les mots pour leur faire comprendre que je ne suis pas malade et qu'ils ne pourront jamais changer ma nature. Je ne sais pas comment je pourrais me qualifier. Suis-je sûre d'être une humaine ? Un humain dépourvu d'humanité est-il considéré comme tel ou alors la notion de « humain » s'arrête-t-elle à notre apparence physique ?

- Professeur, je ne cesse de répondre à vos questions, pourquoi ne pas répondre aux miennes ?

- Nous n'avons pas les réponses à vos questions, April. Nous savons simplement que plusieurs cas de cannibalisme ont été relevés ces derniers mois. L'origine de ces évènements nous dépasse, nous avons seulement remarqué que les acteurs de ces pratiques sont tous âgés de dix-neuf ans, comme vous, April.

Je n'étais au courant de rien. Je ne savais pas que j'avais des semblables. Je me demande s'ils sont enfermés ici ou s'ils sont toujours en liberté.

- Je ne sais pas ce que ce tatouage signifie, conclus-je.

C'était la vérité. Je n'avais aucune idée de quand, où, comment, pourquoi ce tatouage est apparu sur ma cuisse.

- Je ne suis pas convaincu, admet Professeur Aardvark.

Il passe sa main droite dans sa barbe grise de trois jours et tapote nerveusement le dessus de mon dossier médical de sa main gauche.

- N'ai-je pas été honnête avec le monde depuis le début ? N'ai-je pas avoué mes actes ?

Personne autour de la table n'ose s'introduire dans la conversation. Ils me regardent tous froidement, comme si j'étais une bête de foire. Ils perdent leur temps ici, et ils veulent partir.
Ils savent pertinemment que je ne leur donnerai aucun indice sur ce foutu tatouage donc ils ne veulent pas gâcher de précieuses minutes enfermés ici avec la folle-dingue-mangeuse-d'hommes.

- Effectivement, vous avez été honnête depuis le début, et je vous en remercie. Mais cette fois-ci, votre réponse n'est pas recevable. C'est anormal d'oublier la signification d'un tatouage. Je suis navré, mais nous allons devoir passer à une autre méthode.

Il s'arrête un instant et hausse la voix :


- ENTREZ, S'IL VOUS PLAÎT !

Deux colosses aux énormes biceps entrent dans la salle. Ils m'empoignent chacun par une épaule et me tirent hors de la pièce. Je tente de me débattre, mais ils sont trop forts, et je suis trop faible à cause de Ben. Sous leur force, mes pieds ne touchent quasiment plus le sol, ils me trainent comme une poupée.

- Vous n'avez pas le droit de faire ça !

En cinq mois, mes méthodes de dissuasion ne se sont pas améliorées. Professeur Aardvark nous devance et nous accompagne dans une sorte de laboratoire.
Les deux hommes m'allongent de force sur la table destinée aux expériences, puis m'attachent les poignets et les chevilles.

- Qu... Qu'est-ce que vous me voulez ? Dis-je, les larmes aux yeux.

- Ce n'est pas contre vous, nous voulons simplement récolter vos souvenirs, me répond Professeur Aardvark. Nous allons inaugurer avec vous la Récolteuse de Souvenirs, une machine mise au point pour que nous puissions accéder à toute votre mémoire. Nous trouverons sûrement la signification de ce tatouage grâce à ce dispositif.

C'est alors qu'il me pose des d'électrodes sur les tempes.

- J'oubliais, il se peut que l'expérience tourne mal. Nous n'avons jamais testé cette machine, vous êtes la première. Il a des chances que votre cœur ne supporte pas les pulsions électriques et donc qu'il s'arrête. Je vous souhaite d'en sortir vivante, Mademoiselle Kingsley. Avez-vous quelque chose à dire avant de commencer le processus ?

J'essaie de chercher au fond de mon esprit, quelque chose à dire. Une pensée pour ma famille ? Quelle famille ? Une pensée pour mes amis ? Quels amis ? Je n'ai personne qui m'attend, personne qui pense à moi. Les seules personnes qui me connaissent, ce sont eux. Les policiers, les gardes de la prison, Ben, Professeur Aardvark...

- Je... Je vous ai pris pour quelqu'un de bon... Tout à l'heure vous étiez le premier à m'avoir traité comme une vraie personne. C'est tellement dommage de finir sur une si mauvaise image de vous, Professeur Ardva...
Une première impulsion électrique. Les charges puissantes qui se propagent dans mon cerveau envahissent tous mes sens. Je n'entends pas mes cris -si j'en pousse- , je ne sens pas mes membres bouger -si je bouge- et je n'arrive pas à discerner ce que l'on me met à ce moment dans ma bouche.

Deuxième impulsion électrique. Je me fige, incapable de ressentir quoi que ce soit. Je ne sais même plus si je respire, je suis une boule électrique. Mes pieds me paraissent à des milliers de kilomètres, j'ai mal partout. J'ai l'impression que ma tête a explosé, que des milliards et des milliards d'insectes parcourent mes veines et tambourinent dans mes nerfs.

Troisème impulsion électrique.
  Souffle coupé,
         tête tombée,
     cœur arrêté,
  membres arrachés.
L'impression d'être victime de moi-même, dévorée sauvagement.

Finalement, le trou noir. Puis des flashs blancs, un sifflement aigu dans mes oreilles mais je ne peux toujours pas bouger. J'arrive maintenant à déterminer le chiffon placé dans ma bouche qui m'empêche de respirer convenablement. Je perçois maintenant quelques sons, quelques mots du personnel qui s'agite autour de moi, du bruit insupportable de la Récolteuse de Souvenirs, et de l'électrocardiogramme qui s'agite de plus en plus.

Je tente de respirer à un rythme convenable, mais j'ai besoin de plus d'air que je n'en reçois.

Soudain, les sons redeviennent nets et je peux entendre toute l'atmosphère qui s'agite :

« Faites attention ! » « Son rythme cardiaque s'accélère ! » « On va la perdre ! » 

Finalement, le dernier son que j'ai entendu de ma vie fut le Biiiiiiiiiiiiiiiip incessant de l'électrocardiogramme avant qu'il ne s'arrête, indiquant l'arrêt de mon cœur.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 23, 2016 ⏰

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