La peur

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Lorsqu'Aléane se réveilla, elle ressentit la douleur dans ses poings refermés, crispés.

Elle faisait deux types de cauchemars : dans certains, elle était seule. Dans les autres, elle était étouffée par une foule humaine. Oculus ne s'introduisant pas dans son esprit, la seule chose qu'il pouvait faire pour elle, c'était la conseiller.

Elle s'accroupit sur le sol à mémoire de forme de sa chambre, posa ses mains sur son front et respira profondément, essayant de se débarrasser des impressions confuses qui pulsaient encore dans ses pensées, s'affirmaient à chaque battement de cœur dont le bruit sourd résonnait dans sa tête.

Elle s'était retrouvée dans une ville immense, non pas une de ces villes de la Terre du dixième millénaire, mais une ville d'un système lointain. En toile de fond, la puissance hautaine qu'irradiaient des gratte-ciel, tandis qu'elle errait dans les ruelles sordides d'un quartier abandonné par le sort.

Et, partout, des êtres humains, traînant leurs peines et leur rancœur, portant à eux tous bien plus de haine que n'en portaient contre eux les Pacificateurs, eux qui en dehors de leur but final, n'étaient que des machines sans âme.

Elle se trouvait étouffée par une foule de plus en plus dense, écrasée par les hommes qu'elle avait d'abord pris pour ses semblables, et qui d'instant en instant, lui devenaient de plus étrangers, devenaient une sorte de monstre, fusionnaient pour former cette masse écrasante, se réunissaient en une force qui ne se réduisait plus qu'à cela : la capacité à briser chaque individualité, à l'absorber.

Elle pour qui la solitude avait cette si profonde signification, elle qui n'avait jamais rencontré d'autre être humain pour de vrai, alors qu'elle se réjouissait de cette situation, la voyait alors se transformer en cauchemar, et elle se réveillait en sursaut, encore prise dans son combat vain contre la puissance de la société déshumanisée.

« Veux-tu parler, Aléane ?

– Non. »

Sur sa commande, les murs de la pièce affichèrent les images d'une des forêts que contenait le vaisseau. Le silence de cette nature contrôlée était l'un des meilleurs moyens de l'apaiser.



Aléane courait dans un des couloirs du vaisseau. Ce qui avait été un jeu était devenu maintenant une activité sportive. Elle faisait le tour de la sphère dans laquelle elle vivait – les autres lui étaient aussi accessibles, mais il n'y avait là que des systèmes de l'appareil et le support physique d'Oculus, gardés en état par une armée de petits robots de maintenance.

Dans ses écouteurs, dont elle avait changé le mode, pour qu'ils oublient les notifications des systèmes du vaisseau et diffusent de la musique, retentit soudain la voix d'Oculus.

« Nous sommes arrivés. Veux-tu voir ?

– Oui », répondit-elle, à haute voix, comme toujours, consciente qu'il l'entendait de n'importe où dans le vaisseau.

Connaissant les couloirs par cœur, elle fit demi-tour et se dirigea vers la salle d'interface avec les sondes.

Elle y parvint quelques minutes plus tard, s'installa alors aussitôt dans un des sièges devant l'écran principal – qui la maintenait dans une position demi-assise, idéale pour les activités de contrôle et pour pouvoir en même temps se lever rapidement, en cas de rupture de la gravité artificielle ou d'un quelconque problème.

Différentes images se partageaient l'écran. Elle en agrandit quelques-unes, pour regarder de plus près. Oculus s'occupait de la gestion du vaisseau. Il avait déjà calculé sa trajectoire. Elle pouvait voir par où il passerait, utilisant l'attraction gravitationnelle d'une géante gazeuse pour économiser de l'énergie, se dirigeant ensuite presque directement vers cette petite planète tellurique.

« Je pourrai descendre ? Demanda-t-elle.

– Oui. »

Cela faisait un certain nombre de jours qu'ils étaient en voyage. Elle avait envie de sortir de cet environnement confiné, bien qu'il ne lui soit pas spécialement désagréable.

Les mauvais rêves qu'elle faisait lui semblaient liés à la fois à ses questions existentielles, et à cette ambiance dans laquelle elle vivait, la lumière tamisée de ces couloirs, la voix berçante d'Oculus, toutes ces choses qui n'avaient pas bougé d'un iota depuis sa plus tendre enfance.

La sonde venait d'être lancée et précédait le vaisseau. Aléane pouvait voir les images qu'elle prenait de la planète.

« Où est le Pacificateur ? Demanda-t-elle.

La sonde était maintenant sur l'orbite de la planète. Poussant ses moteurs, elle passa sur la face opposée à celle qu'Oculus avait en visuel.

– Je n'en trouve pas, dit l'ordinateur.

– Est-ce que ce serait une planète qui leur aurait échappé ?

– Il faut que nous regardions cela.

– Quand est-ce que je me prépare à descendre ?

– Attends au moins une journée, que la sonde ait terminé son travail et trouvé une zone pour se poser. »

Aléane, fascinée par l'image de la planète, ne pouvait s'empêcher d'espérer.

Certes, la petite boule rocheuse ne payait pas de mine. Elle n'avait pas de vert. Beaucoup de bleu, des océans assez étendus. Des calottes glaciaires assez vastes, également, vu son éloignement de l'étoile. Mais il y avait peut-être de la vie dans cet environnement. Quelle qu'elle soit. Microbes survivant dans les glaces, monstres sous-marins, minuscules insectes enfouis dans les sables.

« Nous allons peut-être passer plus de temps ici », dit Oculus.



Le Jour d'OrionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant