Le silence des dieux

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« Vous ne voyez toujours rien ?

– Non, le brouillard est trop épais.

– Cent mètres, devant vous.

« Quatre-vingt mètres.

« Soix...

– J'y suis.

Le brouillard se déchira comme un voile recouvrant la réalité. Le même liquide que celui du lagon formait comme une rivière, parfaitement stagnante pourtant.

Le rocher dont parlait Cyan était en fait une montagne solitaire, qui s'ouvrait à sa base en une immense caverne. Il y faisait sombre, comme partout sur le satellite – la faible lumière était artificiellement amplifiée par l'interface du casque d'Aléane, pour qu'elle y voie.

– À quoi cela ressemble-t-il ? Demanda Cyan.

– Je... à rien.

Elle continua d'avancer, se trouvant maintenant à l'entrée de la caverne.

Le plafond culminait trente mètres au-dessus d'elle. Le liquide rougeâtre qui provenait de la rivière, à moins que ce ne soit le contraire – puisqu'il ne bougeait pas – formait dans la caverne un immense lagon.

Aléane leva la tête, et examina le plafond. Il était irrégulier. Des milliers de stalactites, à première vue, qui se révélaient en fait bien plus complexes : sur une surface initialement blanche qui aurait pu être de la pierre, des stries rouges allaient et venaient, et du bout de chaque moignon, de temps à autre, une goutte de ce même liquide extrêmement visqueux se formait, faisait une chute interminable et se mêlait au lagon.

– Aléane, je suis en train d'analyser mes premiers prélèvements. Il n'y a pas d'eau liquide en surface, de toute façon. Je pense que la vie a plus de chance de se trouver en profondeur.

– Je n'en suis pas sûre.

– Vous voyez quoi ?

Elle eut soudain une intuition, et posa le pied sur le liquide qui occupait l'intérieur de la caverne.

Non pas que sa viscosité était suffisante pour supporter son poids – même divisé par deux – mais au moment où sa chaussure entra en contact avec la surface, elle sentit celle-ci se raffermir. Une cristallisation courut sous son pied, accompagnée d'une lumière beaucoup plus intense que tout ce qu'il y avait à l'extérieur.

– Aléane ?

– J'ai trouvé », dit-elle.

Pas après pas, elle s'enfonça dans l'obscurité. Son chemin naissait progressivement, les traces de ses pas restaient lumineuses, ressemblant à des morceaux de cristal flottant à la surface du liquide. Elle se retrouva bientôt au milieu de la caverne, et se demanda ce qu'elle allait faire.

Elle n'avait pas peur depuis qu'elle avait posé le pied sur Yggdrasil, et pourtant, maintenant, ce sentiment commençait à naître.

Elle s'accroupit et approcha à nouveau ses doigts de la matrice biologique, sauf que cette fois-ci, en plus de l'effleurer, elle creva la surface.

Le liquide remonta sur ses doigts, sur un centimètre, comme par un réflexe. Par surprise, elle retira sa main et se leva, manquant de perdre son équilibre. Entre ses doigts, et le sol, des filaments transparents s'étirèrent, finalement brisés par son mouvement trop brusque.

Une série de vagues circulaires parcourut le liquide, devant elle.

Des cristaux continuèrent de se former, de façon d'abord chaotique, puis ordonnée. Ceux qui n'obéissaient pas au plan global étaient rapidement dissous. Une forme commençait à naître. Une silhouette humaine s'extirpait du liquide, cristallisée ex nihilo.

Le Jour d'OrionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant