Le Monsieur-Parapluie

Le Monsieur-Parapluie, c'est le nom qu'elle lui donne depuis qu'elle l'a vu.

Elle est en CP. Elle est nouvelle dans sa classe et vient d'emménager avec ses parents et sa soeur.
Le Monsieur-Parapluie aussi est nouveau dans sa vie.

Il est grand et porte toujours une casquette bleue, on pourrait penser qu'elle est vissée sur son crâne presque chauve. Son parapluie bleu dans la main droite et un sac dans la gauche, il marche d'un pas rapide. Sa barbe se veut légèrement grisonnante, sans être imposante.

Elle le voit tous les jours lorsqu'elle va à l'école, lui, tel un spectre, semble flotter dans les airs avec son regard flou, vide d'émotion. Il fixe un point devant lui et ne le quitte jamais.

Elle, elle le remarque toujours, par tous les temps.

Lorsqu'il pleut, le Monsieur-Parapluie ouvre son immense toile bleue, sous son aile protectrice, il marche, paisiblement, mais rapidement.

Ce parapluie, il le trimballe partout, même en été. De quoi a-t-il peur ?

Que le ciel ne lui tombe sur la caboche ? Que Zeus abatte ses foudres sur son âme presque spectrale...?

Elle ne le sait pas.

Les années passent, un an, puis deux, puis trois et ainsi de suite jusqu'à ce que huit années soient au compteur.

N'ayez pas peur, le monsieur-parapluie n'est pas mort sinon l'histoire n'aurait plus aucun sens.

Il n'a pas changé, peut-être un peu vieilli, c'est sûr, en huit ans, les gens changent.

Mais lui, c'est l'exception qui confirme la règle, il n'a pas changé.

Il garde son allure de citron pressé, son fidèle parapluie, sans lui, ce monsieur perdrait toute son importance, sa casquette vissée sur la tête et, son regard vague. D'ailleurs, ce parapluie, est troué. Il est criblé de trous. Non, elle n'est pas folle, cet étrange parapluie ressemble à une passoire ! Soit le Monsieur-Parapluie a voulu se protéger d'un braquage à main armée soit sa toile bleue est très très usée... Où peut-être qu'il est allé dans un pays où il y a des pluies acides... Non, cette théorie est insensée ! Elle aussi est insensée...

Parlons d'elle ! Elle qui le voit toujours. Elle qui s'interroge de plus en plus, elle qui l'a suivi... Attendez quoi, vous n'êtes pas au courant !?

J'ai omis de vous raconter sa filature ?

Quelle erreur... Je suis vraiment distraite, excusez moi ! Cela dit, j'avais raison, elle est vraiment insensée... Reprenons...

Un jour où elle l'aperçoit au coin de la rue, ses questions se remettent à danser dans son esprit, sa curiosité la rattrape et... Elle lui court après. Une fois qu'elle l'a en visuel, elle se cale sur son pas pressé. Lui, ne paraît rien remarquer... du moins, il ne le montre pas.

Elle sait bien que ce n'est pas correct de suivre les gens, mais que pourrait-il bien lui arriver ? Tout...

Ils traversent tout le quartier comme ça, à dix mètres l'un de l'autre, le filé et le fileur. La boulangerie, puis le fleuriste puis la presse, puis la boucherie, puis la place principale défilent sous ses yeux curieux, puis... Il s'engouffre dans une ruelle. Une ruelle dont elle vient d'apprendre l'existence au bout de huit ans. Elle regarde autour d'elle, l'animation du quartier semble s'être éteindre en quelques secondes seulement, il n'y a personne dans ce lugubre endroit... et elle suit le Monsieur-Parapluie. Il marche de plus en plus rapidement, sans jamais se retourner. Pour garder l'allure, elle doit se mettre à trottiner.

La ruelle devient sombre et angoissante. Tout va de plus en plus vite. Elle à l'impression que les murs se resserrent pour l'écraser, le sol est fait de pavés de pierre, usés et gris. Aucune plante ne pousse dans le coin. Aucune habitation ne daigne montrer un signe d'existence.