3 | Ça va mal

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- Tu es cruel, me dit André dès que nous rentrons.

- Pourquoi ?

Il hausse les sourcils et me toise, crédule.

-         Mais qu'est-ce que tu aurais voulu que je fasse ? je demande.

- Je ne sais pas moi...être sympa.

- Et pour toi ça veut dire quoi être sympa ? Me forcer à accepter de faire quelque chose que je n'avais pas envie de faire ?

Il réfléchit un instant.

- Oui.

Je souffle d'agacement.

- Oh et puis c'est bon, il continue, elle voulait simplement que tu l'aides pour ses cours d'histoire.

- Je suis nul en histoire.

Mon colocataire me regarde pendant de longues secondes, puis finit par me toiser.

- Ok, je ne suis pas si nul que ça mais...

- Arrête de chercher des excuses, il me coupe, tu ne veux pas approcher le monde qui t'entoure point. Ton cas est plus grave que je le pensais.

Je lève les yeux au ciel.

- Oh c'est bon, arrête un peu. J'assume le fait d'être un asocial.

- Eh bien tant mieux pour toi.

Pendant le reste de la journée, André ne cesse de secouer la tête de désapprobation dès qu'il m'aperçoit (c'est-à-dire tout le temps) et moi je tente tant bien que mal de l'ignorer, même si je sais qu'avec lui ce n'est pas si facile que ça.

Ce lundi, comme tous les autres, symbolise toujours un recommencement, une nouvelle semaine, une nouvelle chance. Mon réveil est toujours aussi dure, et ma douche toujours aussi chaude et mon café toujours aussi noir. La route à côté d'André est silencieuse. Si aucun d'entre nous ne parle, nos neurones sont plus actifs que jamais. Il pense à ce qui ne va pas chez moi, et moi je pense à ce qu'il pense. Et avant même que nos pensées aient le temps de se réunir en une réflexion logique et cohérente, nous sommes déjà arrivés devant ma fac. La vue de ces briques rouges dès le matin me font toujours aussi mal à la tête, un peu.

À la pensée d'Ella, j'anticipe le cours d'histoire. Bien loin de me soucier de ce qu'elle pense, je prévois surtout mon mal aise. Celui même qui était présent alors qu'elle ne cessait de me fixer, et il va être multiplié par deux maintenant que je lui ai refusé mes services. Je ne pense pas que j'ai eu tort, loin de là. J'essaye de limiter toutes les relations que je pourrais avoir avec les autres, et elle n'échappe pas à la règle. Je dirai d'ailleurs que cette règle la concerne plus que les autres, puisqu'elle est la personne qui me déstabilise depuis le début de l'année.

Mr Taquet nos accueille avec son sourire habituel, impossible de passer à côté, impossible de ne pas le lui rendre (sauf pour moi parce que je ne réponds pas aux règles de la normalité). Dès lors que nous sommes installés, inconsciemment et instinctivement je tourne ma tête vers l'arrière, Ella n'est pas à sa place habituelle. Frustré à l'idée de ne pas voir ses yeux clairs fixés sur moi, je me retourne en fronçant les sourcils. C'est à ce moment précis que je reconnais ses cheveux blonds juste devant moi, à deux rangés à peine mais sur la même ligne. Elle a changé de place et maintenant c'est moi qui la regarde. Je me prépare mentalement à l'instant où elle va enfin poser ses yeux sur moi, mais ce moment semble ne pas arriver.

Quelques instants plus tard, je délaisse Ella pour m'intéresser au professeur. Son cours est aussi intéressant que d'habitude, et les pages de mon ordinateur noircissent aussi vite que mes pensées fusionnent, aussi vite que les paroles de Mr Taquet fusent. Je pense déjà au moment où je devrais mettre toutes ces notes au propre, ce soir, et ma réactivité en est accentuée. Je sais ce que je veux, et je sais comment y accéder. Mon objectif est la seule chose qui m'aide à survivre parce que je dois rester dans le droit chemin, je ne peux pas flancher. C'est comme si ces minutes précises étaient le fruit de toutes ces dernières années de rébellions, de disputes... je ne dois donc pas les gaspiller.

IncertitudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant