1 | Détaché du monde

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Huit mois plus tôt

Je n'ai jamais eu de réveil et je n'en ai jamais vu l'utilité d'ailleurs. Par contre, André, ne comprenant pas comment un en-retard-chronique ne puisse pas en avoir, a décidé de m'en acheter un malgré ma contradiction. Mais je ne l'ai pas installé. Et maintenant que le bruit irritant de cette chose me donne mal à la tête, je comprends qu'André l'a installé en douce la nuit dernière. D'accord, c'est lui qui me dépose tous les matins depuis que je n'ai plus de voiture donc sa réaction est justifiée, mais il suffirait juste que je succombe à ma pulsion en balançant cet appareil, alors il se briserait. Il se briserait tous comme le rêve de mes parents d'avoir un fils parfait.

Je me lève à 7h, une première depuis vingt ans. André frappe à ma porte.

-         Je suis réveillé connard ! je crie.

Il rit avant de s'éclipser. Je me dirige vers la salle de bain et je suis encore déçu – mais aucunement surpris – par mon reflet dans le miroir. Ces yeux bleus ont l'air aussi vide que la personne à qui ils appartiennent, je ne me souviens  même pas de la dernière fois que j'ai été réellement heureux. Maintenant, non seulement je dois me supporter moi-même, mais André aussi.

L'eau chaude détend mes muscles, procurant à mon corps la dernière once de soulagement de la journée avant que ma mélancolie prenne le pas sur moi tout entier. Cette mélancolie directement lié à ce sentiment d'échec que mes parents m'ont fait ressentir, durant toute mon enfance, mais plus encore à l'heure d'aujourd'hui alors que je suis encore dans ce tourment entre l'adolescence et l'âge adulte, entre la dépendance et l'indépendance.

Mes parents sont loin d'être model. Sous cette image de perfection qu'ils veulent absolument montrer, ils ont de nombreuses imperfections. Mais je ne peux définitivement pas les blâmer de mes erreurs, même si en soi l'échec était le seul moyen de les blesser, et donc de me satisfaire.

Une tasse de café fumante m'attend sur la table de la cuisine. Le café est noir, comme la tasse, brulante comme aucune partie de moi ne le sera plus jamais. Je suis froid. C'est à ce moment qu'André apparait, sa tasse à la main.

-         Tu commences à quelle heure aujourd'hui ? il demande.

-         8h, et toi ?

-         Pareil.

Il regarde sa montre un instant.

-         Dépêche-toi, il est 45.

Il pose sa tasse dans l'évier, puis s'éclipse à nouveau. Lorsqu'il revient, je viens de terminer mon café, un timing parfait comme un mécanisme. Je prends ma veste pour me préparer à l'air frais d'octobre de Lille quand nous sortons. En somme, notre appartement n'est pas mal, l'argent de ma riche famille l'avait payé, et je l'aurais sans aucun doute perdu si André n'avait pas accepté de devenir mon colocataire. Je le connais depuis deux ans, mais il est le seul ami sincère que je n'ai jamais eu.

André est noir, et il a vécu au Cameroun. Je me sens obligé de le préciser malgré le fait que nous soyons au 21ème siècle, parce que c'est cette information précise qui a rendu malade mes parents encore plus qu'ils ne l'étaient déjà. Soit que j'ai été incapable de passer en deuxième année de médecine alors qu'André lui a pu malgré « l'éducation qu'il a reçu » (avait dit ma mère). Le fait est que mes parents sont incapable de savoir quelle éducation il a effectivement reçu puisqu'ils n'ont jamais quitté leur milieu qu'ils croient parfait. Je ne dirai pas que mes parents sont racistes, je dirais qu'ils ne peuvent pas – et ne veulent pas – passer au-delà des stéréotypes. La vérité c'est qu'André est brillant, et tout le monde le voit sauf eux, ils n'ont pas du mal à le voir, mais ils refusent. Ils ne veulent pas accepter la triste vérité : j'en étais incapable.

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