La Chasse Part I

23 3 6
                                    




Le navire était au bord de la rupture. Plus il s'enfonçait au cœur de la tourmente, plus il s'approchait dangereusement du point de non-retour. Les vents violents frappaient la coque de bois et de métal comme des vagues déferlantes dans l'océan. La pluie frappait l'équipage, semblable à une volée de gravier continue. Les éclairs se succédaient, illuminant le ciel d'un stroboscope infernal.

Le capitaine avait choisi d'aborder la nuée par le haut. Sous la coque, la tempête avait peu à peu caché le sol, substituant les nuages noirs aux vagues de la mer de l'Ouest. Les tempêtes en mer étaient toujours plus puissantes qu'au-dessus des terres et c'est ce que cherchait le capitaine.

Le navire était un chatouilleur de Tempête, pas vraiment fait pour plonger dans le cœur d'un typhon, mais le choix du capitaine était fait et son choix était souverain sur son bâtiment. Même si l'équipage trouvait l'idée complètement folle et l'aventure suicidaire, il obéirait. Le capitaine Kebale était à la fois craint et respecté, personne ne songerait à remettre son jugement en cause et encore moins ses ordres.

Après avoir fait grimper le navire à sept mille pieds, l'équipage s'était mis en place, chacun à son poste dans l'attente des ordres. La tempête défilait rapidement sous les yeux des hommes, masse grondante et changeante, constellée de flashs aveuglants. L'appréhension montait au fur et à mesure que le vaisseau survolait le chaos nuageux. Le capitaine, penché sur le balcon avant, scrutait la nuée à la recherche du monstre, le bras tendu vers le haut. Dès qu'il l'abattrait, la machine précise et huilée de l'équipage entrainé se mettrait en branle, mais pour l'instant, tous attendaient, muscles tendus et regards fixés sur le bras immobile de Kebale.

Neham, collé au bastingage arrière, les observait. Certains s'étaient liés avec une corde au navire pour ne pas passer par-dessus bord ; d'autres n'étaient attachés à rien, soit que leur poste nécessitait beaucoup de mobilité, soit par choix. Oggar, le chef timonier, géant à la peau sombre et aux yeux clairs, lui avait expliqué :

« Quand t'es dans une tempête, petit, être attaché peut te sauver la vie, mais si le navire se disloque, toutes les parties qui sont séparées du faiseur de champs perdent leur flottaison et tombent vers le sol. Si t'y es lié, tu tombes avec. Impossible de t'accrocher quand t'es tiré en bas par des centaines de kilo de bois et de métafluide, et je te parle même pas de sauter. »

Néham tourna les yeux vers la barre. Oggar était là, les yeux fixés sur le bras du capitaine, une main sur la barre, une autre sur une manette de laiton du bloc de commandes à sa droite.

Oggar aurait dû être pêcheur, comme son père, son grand-père et tous ses ancêtres. Mais un jour, un navire vint se poser en catastrophe dans un petit port non loin de chez lui. Le hasard voulu qu'il fit connaissance avec le second de ce vaisseau, Kebale. Ils se lièrent très vite, Kebale prenant sous son aile ce géant à peine sorti de l'enfance. Et depuis, d'une fidélité sans failles, Oggar suivait son capitaine où qu'il aille.

Le jeune homme vit briller le mousqueton de métal qui reliait le pilote au pont. Oggar s'attachait toujours, il ne pouvait se permettre d'être éjecté de sa place et comme le faiseur de champs se trouvait sous lui, s'il tombait c'est que ce dernier avait cessé de fonctionner et que le bâtiment était perdu.

Les secondes s'allongeaient. Un vent froid balayait le pont. Rien à voir avec la violence de celui qui se déchainait quelques dizaines de pieds en dessous d'eux pourtant. Au-dessus de Neham, le ciel était d'un bleu à peine foncé ; quelques cirrus s'effilochaient lentement, indifférents aux hommes et à la tempête. Neham jeta un regard sur Maitre Fineal à côté de lui. Le vieux médecin de bord paraissait calme et serein. Sa barbichette blanche frémissait sous le vent, ses bras fins et nerveux s'accrochaient au bastingage. Neham savait que sous son aspect maigrelet, son maitre pouvait être d'une force peu commune. Son esprit était tout pareil, on pouvait le croire faible à la première conversation mais celui qui avait affaire à lui découvrait un homme à la volonté inflexible et à l'intelligence redoutable. Le vieux médecin fit signe au jeune homme de vérifier encore une fois son équipement. Tous les deux portaient une sorte de veste avec tout le nécessaire en cas d'urgence médical. Pansements, alcool, herbes, onguents et divers instruments chirurgicaux. Le tout rangé avec soin suivant un ordonnancement précis. Il s'agissait de ne pas perdre de temps et de trouver le nécessaire tout de suite, sans avoir à fouiller. Maitre Fineal avait conçu ces vestes spécialement pour cela. Trois dizaines de poches de matières et de formes différentes réparties à l'avant et dans le dos, accessibles en un instant et cousus sur une sorte de gilet très solide. Le tout tenu par une série de lanières de cuir terminées par des boucles.

Neham vérifia que sa veste tenait bien en place etqu'il pouvait accéder à chacune des poches. Il avait appris à les reconnaitreau toucher et savait exactement ce que chacune contenait. Il était prêt.    

La Mère des TempêtesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant