Elle ne sentait plus rien ou trop pour que cela soit une douleur précise. Elle voyait les grêlons transpercer l'eau à toute vitesse et s'arrêter presque aussitôt pour remonter flotter à la surface. Et elle s'enfonçait lentement. Les éclairs déformés par l'océan formaient un kaléidoscope aveuglant sur les vagues. Elle n'avait pas la force de nager. La grêle cherchait encore à l'atteindre mais elle était trop loin maintenant. Tout devenait noir, lointain, même ses brûlures étaient apaisées par l'eau froide. A bout de force, vaincue par les éléments, elle se laissa sombrer, perdant conscience petit à petit, remettant son âme aux dieux de l'océan.
C'est à peine si elle sentit qu'on l'attrapait. Comme si on saisissait ses jambes, ses bras, sa taille. Dans le peu de conscience qu'il lui restait elle pensa :
« Des sirènes, je savais bien qu'elles existaient ».
Elle était ailleurs. Non, elle était quelqu'un d'autre, autre chose.
Elle était au-dessus de l'eau. Elle ne volait pas, elle émergeait de l'eau. Les grêlons frappaient sa peau mais elle ne sentait presque rien, pourtant ils la frappaient par dizaine, par centaine peut-être en même temps. Elle voyait son bateau, flottant à peine, balloté par la tempête, pilonner par une grêle meurtrière, il tenait bon malgré tout.
Elle s'éleva encore, se dressant, elle était gigantesque. Elle bondi dans les airs, sautant vers les nuages noirs et menaçants. Elle entendit le bruit d'une mâchoire démesurée qui se referme et sut que cela venait d'elle. Elle regarda vers les vagues, son bateau était presque invisible. A quelle hauteur pouvait-elle bien être montée ?
Elle retomba dans l'eau comme un dauphin après une acrobatie. Elle émergea à nouveau. L'enfer qui se déchainait la touchait à peine, les vagues immenses se brisaient contre elle, la pluie, le vent ne la faisaient pas vaciller d'un pouce. Elle se tenait droite. Elle voulut tourner la tête pour voir le rivage et c'est ce qu'elle fit avec un temps de retard, comme si sa demande avait été pesée avant d'être acceptée.
Malgré la grêle déferlante qui recouvrait la vue d'un suaire blanc, elle vit les reflets orangés des flammes partout sur le long du port. Des éclairs semblaient faire exploser les vieilles maisons de pierre. Il fallait qu'elle y aille, il fallait qu'elle les aide, tout de suite. Sa famille, ses amis était là-bas, au milieu d'un enfer de glace et de feu. Mais son corps en décida autrement et son regard se tourna vers les nuées d'orage. Elle cria, invectiva, ordonna, supplia en vain. Ses yeux restaient fixés sur les nuages.
Elle finit par apercevoir, au milieu de la tempête, deux formes gigantesques tournaient en cercle. Des éclairs incessants illuminaient la scène. Soudain une des deux formes se rua sur l'autre, un bruit de tonnerre éclata, mais plus puissant et plus aigu, le cri d'un dieu qu'on blesse. Les éclairs redoublèrent mais entre les deux créatures à présent. Les bruits de tempête étaient assourdissants autour de Leonelle mais les hurlements venus du ciel arrivaient à les couvrir. Elle assistait à un duel divin.
Encore des attaques, encore la foudre jaillissant des corps. Leonelle ne voyait que des ombres mais elle savait que ce combat était épique, titanesque. Les deux monstres tournaient en rond puis l'un fondait sur l'autre, accompagné par des éclairs qui aveuglaient et illuminaient les nuages.
Une nouvelle charge, plus féroce encore, la foudre comme des lances de feu jetées contre l'adversaire. Et un hurlement long, un cri tel que le monde n'avait pas dû en entendre depuis la nuit des temps. Un des deux monstres tomba alors vers le sol. Une chute longue et terrifiante. Un ange vaincu tombant vers l'océan. Le corps crevait les nuages, fonçait vers les vagues au milieu des bruits de l'ouragan.
Il percuta les vagues non loin de Leonelle. Une gerbe immense monta dans le ciel et une vague plus haute qu'une maison fonça sur elle. Elle ne bougea pas, le déferlant finit par la heurter sans la faire chanceler. Elle regarda à nouveau les nuages. Le monstre vainqueur n'était plus visible désormais. Elle entendit son cri terrible se répandre dans toutes les directions. Et alors l'ouragan redoubla.
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La Mère des Tempêtes
FantasyEt si au coeur des tempêtes vivait un monstre ? Et si ce monstre devenat fou ?