1. Dans L'Écurie

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    Il y a de cela neuf ans, dans un petit village où tous les habitants se connaissaient, une ferme un peu éloignée des autres. Une ferme occupée par un jeune couple. Les YUBA. Mariés depuis trois ans.

    Taninna : vingt-six ans, était institutrice dans la seule école du village. Yugurten : trente ans, psychiatre dans l'hôpital de la ville la plus proche. Comme il avait notamment un cabinet privé à la maison, mais qui était vide la plupart du temps.

    Un soir d'hiver, un de ces soirs où le vent se déchaînait, claquait les portes et les fenêtres. On entendait le craquement des planches de bois constituant la maison, menaçant de s'effondrer sur la jeune femme qui s'y trouvait seule, recroquevillée dans ses draps. Les animaux de la ferme hurlaient à la mort. Les chevaux donnaient des coups de sabots dans leur box. Les poules se déplumaient dans leur poulailler. Les chiens aboyaient plus fort que jamais. Et la ferme voisine la plus proche, était à vingt minutes de marche de là.

     Taninna invoqua tout son courage pour se lever. Elle avait peur, trop peur. Son mari n'était pas revenu ce soir-là. Il l'avait prévenue, comme tout homme se devait de le faire. Elle se leva et lâcha ses draps à contrecœur, pour ouvrir la porte de leur chambre se trouvant au premier étage. La porte, fidèle à elle-même, grinça. Ce qui fit accroître la peur dans le cœur de la femme. Elle respirait très fort. Elle descendit les marches sur la pointe des pieds, ses yeux allant dans tous les sens à la rechercher d'un quelconque mouvement suspect. Le courant électrique était coupé. «  Surement un autre poteau électrique tombé... » Se dit la femme pour se rassurer. La maison, tantôt plongée dans le noir, tantôt illuminée par les coups de foudres suivis par de violentes détonations qui faisaient sursauter Taninna à chaque fois. Il était presque minuit. Elle savait que c'était dangereux de sortir à cette heure et avec le temps qu'il fait, même dans sa propre ferme, sans que Yugurten soit avec elle. Devant la porte, elle prit ses bottes en caoutchouc, une écharpe brune et un manteau. Pas la peine de prendre un parapluie qui s'envolerait à coup sûr.

     «  Tayson ! Spyke ! Appela-t-elle ses deux chiens de sa voix qui s'emporta par le vent. »

     Les deux chiens arrivèrent aussitôt, remuant la queue en éclaboussant leur maitresse d'eau sale.

     « Qu'est-ce qu'il y a ? Chut... Dit-elle en se penchant vers ses deux compagnons et leur caressant le haut du crâne. »

     Les chiens continuèrent d'aboyer en direction de l'étable. La femme regarda dans cette direction-là, et traversa la cour qui les séparait. La curiosité et la protection envers ses animaux l'emporta sur la peur. Les chiens la suivirent de près.

     Il pleuvait des cordes. Le vent soufflait et les branches claquaient. Les champs de blé complètement aplatis ; les apercevait à chaque coup de foudre.

    «  Non, Spyke. Reste ici mon chéri. Ordonna Taninna au chien qui allait la suivre dans l'écurie, quand elle ouvrit la gigantesque porte toute moisie par les années auxquelles elle avait survécu.»

     Les chevaux n'avaient pas cessé de cogner contre leur box, essayant de fuir un danger inconnu. Taninna s'approcha doucement des bêtes en tendant la main devant elle pour les calmer.

     «  Chut, ma belle, ça va aller. Tenta-t-elle de calmer une jument en lui caressant le museau.»

     La jeune femme entendit un bruit étrange provenir du fond de l'écurie. Elle retint sa respiration, pétrifiée. Elle s'arma enfin d'un bâton se trouvant à ses pieds et avança dans la direction des bruits. Elle pensa que c'était un animal sauvage, venu se refugier de la tempête. La pauvre, elle était habituée à trouver ses poules dévorées et leurs œufs fracassés. Un jour, elle avait même perdu un veau. Il s'était enfui en échappant à un loup, et a été retrouvé le lendemain, mort, au fond d'un lac.

     Taninna se redressa rapidement et colla son dos contre un pilier en apercevant une ombre. Pas celle d'un animal, non. C'était celle d'un humain. Un homme... Il était dos à elle. Elle profita de cet avantage et se rua sur lui en lui donnant un coup tellement violent, qu'il se retrouva à plat ventre dans la seconde même. L'homme poussa un cri en se tenant les côtes. Il se retourna sur le dos, les yeux clos... et elle le reconnu.

     «  Mon Dieu ! Cria-t-elle en couvrant sa bouche d'une main. Yugo ! »

     L'homme ne put répondre. Il gémissait au sol se pinçant les lèvres, retenant ses cris de douleur. Sa femme s'agenouilla à son côté et tenta de l'aider. Elle paniquait, ne sachant comment réagir. Ses yeux s'écarquillèrent en sentant une matière gluante et dense entre ses doigts, après avoir touché le chandail de mon mari. Du sang. Elle l'examina enfin et découvrit que ses vêtements étaient maculés de cette substance bordeaux, encore fraiche. Il ouvrit les yeux pour la voir et ne cacha pas sa surprise.

    «  Nina ? Prononça-t-il difficilement ce qui déformait son visage en une grimace.

    — J... Je... suis vraiment désolée. Je ne savais pas que c'était toi. Dit-elle entre deux sanglots, le visage ruisselant de larmes. (Elle avait enfin pu faire sortir toute cette tension en pleurant. Taninna était une faible. Depuis un an. Elle pleurait comme une fontaine à la moindre occasion. Ce qui ne lui enlevait rien de son courage.) Montre-moi ça... On rentre à la maison et j'appelle le docteur.

    — Non ! Ce n'est rien, je t'assure, ma chérie. Tu t'inquiètes pour rien.

    — Tu as perdu beaucoup de sang ! Je n'arrive pas à croire que je t'aie fait ça. Dit-elle en reniflant. (Elle se tenait la tête entre ses poignets, évitant de se salir avec le sang plein les mains.)

     — Mais ce n'est pas toi ! (Yugurten reprit ses esprits et lui prit les mains entre les siennes.) Écoute, ce n'est pas mon sang, tout ça. D'accord ? »

     Elle le regarda en arquant les sourcils, attendant une explication. Elle fit, pour la première fois, tourner son regard pour examiner le lieu.

     Une pelle. Des gants. Un couteau, énorme. Une corde. Du sang. Du sang. Et du... sang frais.

     Sa poitrine commença à se soulever exagérément. La panique se lisait dans ses yeux étincelants au milieu de la pénombre. Comme si, tous les animaux de la ferme, les éléments de la nature, les créatures de la nuit, attendaient de voir l'évolution de la scène avec impatience. La femme resta figée. Son mari comprit la situation et tenta de se redresser.

     «  Nina... Je ne sais pas ce que tu t'imagines, mais je t'assure que ce n'est pas ce que tu crois.

     — Qu'as-tu fait ? Demanda-t-elle, d'un ton se voulant être dur pour cacher sa panique. Yugurten. Qu'as, tu, fait. Articula-t-elle en détachant parfaitement ses mots.

     — Viens. On rentre à la maison. Je dois me changer et je t'expliquerai. (Il tituba vers la sortie en courbant le dos, et se tenant les côtes.) Fais-moi confiance. » Ajouta-t-il en voyant qu'elle ne bougeait pas d'un iota.

     Il revint vers elle et la tira doucement par le bras.

Je Suis PsychotiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant