-Chapitre 4_

6 0 1
                                    

Selina, assise sur une souche pourrie, sortit un briquet chromé de sa poche et s'en servit pour allumer un nouveau cigare. C'était de deuxième depuis son réveil ; elle allait devoir se calmer un peu. En aspirant la fumée, elle glissa une main dans une des poches intérieures de sa veste et compta du bout des doigts les cigares qui lui restaient. Un, deux. Pas grand-chose.

Tant pis, de toute façon elle comptait être chez Carmen le soir même, elle la ravitaillerait. D'ailleurs, elle ferait mieux de prévenir Max qu'il l'accompagnerait chez elle.

Une pensée la frappa soudain ; quelle heure était-il ? Elle sortit sa montre de sa poche : 8h17. Elle était partie depuis presque une heure ; le gamin devait être debout depuis longtemps.

Elle se leva et prit le chemin du parking en espérant que l'adolescent n'aurait pas fait de bêtises.

Quelques minutes plus tard, elle sortit d'entre les arbres en écrasant son mégot entre ses doigts. Max tourna la tête tandis qu'elle s'approchait. Il avait un morceau de pain dans la bouche et il était occupé à fourrager dans son sac.

Lorsqu'elle fut à sa hauteur, il lui posa une question incompréhensiblement étouffée dans le pain.

Devant son air interrogatif, il retira le pain qui dépassait de sa bouche, avala et répéta :

-T'as à manger ? Parce que moi j'ai plus rien, ajouta-t-il.

Selina sourit ; il était ridicule.

-Il doit me rester des sandwiches, répondit-elle en ouvrant la portière conducteur de la voiture. T'as assez mangé pour ce matin ?

Max acquiesça en prenant la place passager.

-Et toi ? demanda-t-il.

-J'ai jamais faim le matin.

-J'ai une pote qui disait ça. Elle a fait quatre malaises en un mois avant que son père l'oblige à manger le matin, fit-il en haussant les épaules.

-Tu me fatigue... soupira Selina. Attache ta ceinture au lieu de dire des conneries.

Max obéit en bâillant.

-Me dis pas que t'as pas assez dormi... s'amusa Selina en démarrant. Mais quelle feignasse !

-En même temps, tu m'as réveillé à quatre heures du matin avec un cigare puant. D'ailleurs tu sens encore...

-T'as pas fini de râler ? rétorqua-t-elle. T'étais moins causant hier...

-J'étais fatigué, se justifia-t-il.

Il se frotta les yeux et tourna la tête vers Selina :

-Il reste combien de temps avant d'arriver chez tes amis ?

Elle passa la main dans ses cheveux en fronçant les sourcils. Elle n'en avait pas d'idée précise...

-Je sais pas trop, d'ici quelques jours, normalement. Mais avant, on s'arrête chez une autre amie.

-Quand ça ?

-Si on roule bien, on y est ce soir. Ca fait longtemps que je l'ai pas vue, je pense qu'on restera une petite journée.

-« on » ? Tu me dépose pas avant?

-Tu peux rester si tu veux, Carmen s'en fout, du moment que tu touches pas à ses affaire et que t'es pas trop con.

-T'es sûr que ça la dérangera pas ? insista-t-il d'un air inquiet.

-Elle s'en fout, je te dis...

Après un silence, Max demanda :

-Ta Carmen, c'est quel genre de personne ?

-Le genre pas banal. Mais pose pas trop de questions, tu verra quand tu y sera.

Max se tut un instant, le regard perdu dans le vague.

-Tu viens d'où ? demanda soudain Selina.

-J'ai pas envie de parler de chez moi, se renfrogna-t-il en ramenant les genoux contre sa poitrine.

Selina ne se démonta pas. Ce gamin la rendait curieuse.

-Mais tu as bien une famille, des amis...

-Des amis, quelques-uns. Mais on est pas très proches.

Il semblait soudain renfermé sur lui-même, alerte, sur la défensive.

-T'es au lycée, non ? Qu'est-ce que tu fiches tout seul sur les routes ?

Il prit une longue respiration un peu tremblante. Selina crut qu'il allait pleurer.

-J'ai pas envie d'en parler, j'ai dit...lâcha-t-il finalement.

Selina garda le silence. C'était ses affaires, après tout. Elle n'était pas là pour faire chialer un gamin.

Ils roulèrent en silence un long moment. Après une petite heure, Selina se dit que l'adolescent devait vraiment crever d'ennui.

-Max ? l'interpella-t-elle.

Il tourna la tête, interrogatif.

-Si tu te fais trop chier, je dois avoir un livre quelque part.

-J'aime pas vraiment lire...lâcha-t-il. Enfin, pas tous les livres

-Celui-là est bien, lui assura Selina en ouvrant la boîte à gants.

Elle en sortit un vieux livre jauni au format poche qu'elle jeta sur les genoux de Max.

Il l'attrapa, circonspect. La couverture et les pages cornées, et des taches de moisissure piquetaient la tranche de cercles clairs. Lorsqu'il ouvrit l'ouvrage, le dos craqua.

Sur la première page, il lut :

« Le portrait »

Au-dessus du titre, quelqu'un avait griffonné : «Propriété de Selina B. Alcorn ».L'écriture était sèche, anguleuse, pressée, mais le trait qui soulignait le « Alcorn » était agréablement courbe.

Il releva la tête pour observer Selina. Oui, cette écriture lui convenait plutôt bien.

Il fit défiler quelques pages du bout du pouce, et s'arrêta au milieu du livre pour plonger le nez dedans. L'odeur de poussière, de moisi, de renfermé et d'encre lui évoquait une sorte de vieillesse respectable, une chose tortueuse, courbée par le temps, et tout à la fois grande et admirable.

Il comprit soudain ce que Selina lui avait dit sur le fait de vieillir.

-Respire pas ça, rit cette dernière, je sais pas où ça a traîné !

Il lui sourit.

-Je vais le lire, je crois, se décida-t-il.

En quelques minutes, il était absorbé par sa lecture.

_________________

Salut, j'suis toujours en vie! Chapitre un peu plus gros pour compenser^^

N'hésitez pas à commenter^^

[?]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant