Chapitre 1

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Il fait beau. Aujourd'hui, le ciel est bleu azur et étincèle comme jamais grâce à l'astre lumineux qui nous recouvre de sa chaleur, comme le ferait une maman poule avec ses oeufs. Ce genre de moments est rare à Londres, mais lorsque cela arrive, le monde entier change et cela a la particularité de réussir à faire  battre nos coeurs à l'unisson. Les yeux des enfants pétillent alors comme des gouttelettes d'eau et leurs sourires possèdent tous leurs visages, c'est assez impressionnant à voir, mais surtout magique, c'est beau. Les voir aussi heureux me rappelle mon enfance, lorsque je jouais avec ma grande soeur -Gemma- au parc qui était à deux pâtés de maisons. Parfois ce petit monde du passé me manque, parfois j'en ai assez de souffler sur la poussière qui habille les photos de notre appartement, parfois j'aimerais revivre ces joies saccadées puis je finis par me rendre compte que la vie que je mène aujourd'hui est spectaculaire, que je ne regrette rien. Certes, ma famille me manque et mon ancienne petite maison aux murs beiges et à l'escalier grinçant me manque, certes, des fois il me manque ce petit couinement lorsque j'ouvre les portes des pièces, certes, je me mets de temps en temps à envier les petits plats que préparait ma mère, mais des millions de gens voudraient être à ma place alors je n'ai pas tellement le droit de m'apitoyer sur de telles vanités. A la place de regretter, je profite des millions de fans incroyables que nous avons, je profite de vivre de ma passion, je profite d'être en compagnie des meilleurs potes de la planète, je profite de ne manquer de rien et de pouvoir tout obtenir en claquant des doigts. J'espère cependant ne pas trop profiter pour ne pas tomber dans l'exagération, même à notre niveau de vie ou plutôt surtout à notre niveau de vie, il faut tout modérer.

Alors que je rêve tranquillement, je sens un lourd poids s'écraser sur moi -ce qui manque de me faire trébucher- et des cheveux lisses caresser ma nuque. J'attends un peu pour pouvoir reconnaître le parfum qu'il porte, car oui évidemment, il s'agit d'un des garçons vu que c'est avec eux que je suis en ce moment, prenant un temps calme au parc avant de nous engager dans une tournée le lendemain. Gucci Guilty, je sens l'odeur enivrer mes narines, en même temps même Voldemort aurait pu le sentir à deux-cents mètres, Louis pue ce truc à des kilomètres à la ronde. Avec le temps, j'ai finit par m'habituer au fait qu'il vide sa bouteille entière sur lui chaque matin et au final, l'odeur n'est plus aussi mauvaise, je pense donc avoir perdu mon odorat.

Il passe ses deux bras du côté de mon épaule et se jette lui-même dessus en sac à patates, se laissant glisser pour tenter de faire la chauve-souris. Evidemment il se rétame la tête la première, ce qui nous arrache un rire à tous. Comme s'il n'en'est rien, il se relève tout sourire et plonge ses deux billes dans les miennes. Doucement, il entrouvre ses lèvres et déclare d'une voix féminine qui ne lui ressemble pas :

- Monsieur Styles, prenez vos pilules.

Le monde se brouilla autour de moi et je repris mes esprits. Les yeux de Louis s'étaient convertis en eau liquide qui se mouvait légèrement au fond du verre en plastique que je tenais dans ma main droite, je m'étais perdu dans un si petit puits comme quoi le monde pouvait nous réserver bien des surprises, même la plus petite des situations pouvait nous égarer. Relevant la tête, je croisais le regard intensif de l'infirmière Jones qu'ici tout le monde appelait Elisabeth. C'était toujours le même regard désespéré qu'elle portait à mon égard, toujours cette attente qui la creusait, toujours la même chose et je me contentais de lui lancer un regard vide, sans réponse comme si je ne savais plus communiquer. Je vis ses cheveux gris frémir, comme si je la fatiguais tellement qu'ils ne pouvaient s'empêcher de friser.

Je levais ma main gauche, au creux se trouvaient deux petites pilules blanches toutes deux gravées d'un sigle qui ne m'importait pas du tout. Et l'air de rien, je les portais à ma bouche, les faisant nager sous l'eau que j'avalais juste après. Je portais enfin un regard tout autour de moi, les murs blanc pâle qui avaient l'air plus gris qu'autre chose, le linoleum en forme de carrelage qui autrefois avait dû être blanc et qui était aussi noir que les murs, me firent prendre conscience d'où j'étais, la cafétéria de l'hôpital psychiatrique se situant dans le district de Bromley à Londres.

Une fois que j'eus fini d'avaler mes pilules et que j'eus ouvert la bouche en grand pour être sûr que j'avais bien tout avalé, Elisabeth me fit clairement comprendre que j'empiétais sur le passage d'autres gens, je n'étais pas seul, il y avait encore d'autres patients qui faisaient la queue derrière moi. Je ne dis rien et me déplaçai vers le couloir pour regagner ma chambre, j'allais bientôt finir amorphe avec ce que j'avais avalé. Il y avait des jours sans et des jours avec, des jours où je prenais les médicaments sans rien dire, ayant besoin de ne pas penser et de simplement de m'endormir. Aujourd'hui je les avais pris et c'était sûrement parce que j'avais pensé à lui que j'acceptais les choses comme elles étaient. Je jetais un dernier coup d'oeil aux autres patients qui attendaient en faisant la queue, certains râlaient, d'autres s'enfouissaient dans l'ombre. Le Bethlem Royal Hospital était sûrement le seul endroit où l'on était traités comme des pauvres gamins mais où l'on nous appelait par nos noms de famille. Lorsque l'on rentre dans un hôpital psychiatrique, on perd toute la maturité et la confiance que l'on pouvait nous porter avant, on devient un gamin de 2 ans et encore c'est un euphémisme. Un bébé dans un corps d'adulte, c'est ce que l'on n'arrêtait pas de nous dire, car si on avait atterri là c'était forcément parce que l'on n'avait pas été capable de se prendre en main tout seul, comme des grands. Si on rentrait ici, c'est que l'on avait raté une étape et que l'on avait viré toute trace de réflexion avant d'agir, si l'on atterrissait ici, c'est qu'on avait tout foiré et c'était bien connu, il n'y avait que les gamins qui foutaient en l'air leur vie sans tenter de réparer les choses.

Je traversais le long couloir et j'observais les environs, malgré le sol, les murs et la cafétéria dégueulasses cet hôpital n'avait rien d'un, on aurait plutôt dit un institut pour toxicos riches, un genre de centre de désintoxication. Ici tout était décoré mais malgré les nombreuses plantes vertes qui arpentaient les pièces, tout restait froid pour nous, par "nous", j'entendais là les patients. Malgré les quelques tableaux qui décoraient les murs, on restait tous des fous, malgré tout ce qu'ils disaient, on restait des prisonniers, des cloitrés, reclus de la société, on ne savait même pas ce qui se passait dehors. Bien sûr on avait le droit à des visites, sauf si comme moi on n'écoutait pas ce que l'on nous demandait, sauf si comme moi, on continuait de se foutre en l'air et on trouvait ça amusant.

Je regagnai alors ma chambre et tombait sur le petit nouveau, Logan, il n'était là que depuis un mois et comme moi ne parlait à personne. Il se contentait de s'asseoir en tailleur sur son lit et d'observer le plafond, comme s'il allait s'écrouler sur lui et lui ravaler la gueule. Il pleurait la nuit et criait parfois, je ne savais pas trop ce qu'il avait mais s'il était avec moi, il devait être dépressif ou souffrir d'un quelconque trouble d'anxiété. J'avais souvent de la peine pour lui, il ne semblait rien avoir demandé au monde et de s'être quand même bien fait baiser. Alors parfois quand il pleurait, je m'installais à côté de lui et posais ma main sur son bras droit, mais rien de plus, on ne parlait jamais et il finissait par s'endormir. Elisabeth m'avait dit une fois qu'il avait déjà 21 ans, mais qu'il en paraissait 15, pas seulement physiquement mais aussi moralement, c'était souvent dû au fait que quelque chose nous avait fait rater notre adolescence. A force de rester ici, j'avais commencé à connaître un peu les gens ici et même s'ils étaient tous souvent imprévisibles, j'avais réussi à les ranger dans des cases car le monde me semblait beaucoup moins effrayant quand je rangeais les personnes dans des petites boîtes et que je les enfermais à l'intérieur.

- Bonne nuit Logan.

J'en ai déduit à son regard qu'il était surpris, en même temps, je ne lui avais jamais adressé la parole avant. Il resta quelques secondes à me contempler mais finit par hocher légèrement la tête et à s'engouffrer dans le lit miroir au mien. Je fis du même, m'enfouissant sous les couvertures, me les caillant un peu. Je fermai alors les yeux et automatiquement, comme par enchantement, je vis ses yeux bleus se graver dans mon esprit. Louis.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 22, 2013 ⏰

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Strayed Souls - Ames égarées. - En pauseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant