La première chose qui vint à l'esprit de Stig, à propos de sa situation actuelle, fût qu'elle était d'un ennui mortel, sans mauvais jeu de mots. Il était bien nourri et avait même droit à des vêtements propres. Seulement, seul, il s'ennuyait. Habillé de blanc, dans une pièce blanche et nourri de riz dans des assiettes en cartons blanches, il s'ennuyait. Il n'avait personne à qui parler pour ne serait-ce que se confier ou faire une quelconque blague. Il ne voyait et n'entendait même pas ceux qui le nourrissait. Stig soupira, et attendit que le temps passe, il n'allait sûrement pas rester ici très longtemps.
Le temps passa, justement, mais Stig était bien incapable de dire quel jour, mois ou encore année on était. Son horloge biologique était complètement défectueuse. Etait-ce la nuit ? Etait-ce le jour ? Parfois, l'homme s'amusait à dire une date au hasard et à crier "On est le 8 septembre 2000 !" avant de partir dans un rire incontrôlable qui ressemblait plus à celui d'un interné en hôpital psychiatrique qu'à celui d'un homme sain d'esprit. Pour ne pas sombrer, il essayait de se rappeler sa famille. Un jour, il avait lu que la première chose qu'on oubliait chez quelqu'un était sa voix, et Stig ne pouvait qu'approuver. Les sons des voix de Saku, son frère cadet, de Miikka, son mari ou encore de Luukas, son fils adoptif, n'arrivaient plus jusqu'à ses oreilles.
Et, lorsqu'il commença à oublier leurs visages, Stig prit peur. Allait-il les oublier complètement ? Non, il ne pouvait s'y résoudre.
En rêve, il voyait des personnes sans voix ni visages, mortes. Devinant qu'il s'agissait de ses proches, l'homme se réveillait tout en cris et en sueur. Il regardait alors partout, l'oeil hagard, à la recherche de traces éventuelles de danger et dégoulinant de sueur. Puis, après avoir comprit pour la énième fois qu'il était seul, il essayait de calmer sa respiration, sans vraiment y arriver. Son coeur battait continuellement la chamade, terrorisé de manière incontrôlée par des souvenirs oubliés.
Au fur et à mesure que le temps passait, Stig oubliait tout, lentement. Ses souvenirs partaient, le laissant presque dénué de passé. Pourquoi sa mère l'avait-elle appelé Stig ? Il n'arrivait même plus à se souvenir du prénom de cette dernière ! Il l'avait sur le bout de la langue, mais impossible pour lui de s'en rappeler. Qu'y avait-il de pire que de ne pas connaître les événements nous ayant forgés ? Le prisonnier pensait que rien d'autre ne pouvait lui arriver, c'était sans penser aux hallucinations dont il était victime. Parfois, il avait l'impression de voir quelque chose d'une couleur autre que blanc rien que pour ne pas perdre la notion de 3D. Il avait aussi parfois l'impression d'entendre quelque chose, parfois une voix qui lui semblait familière mais dont il n'avait aucun souvenir, parfois un simple petit bruit d'insecte qu'il ne pouvait même plus nommer. Mais le seul son qu'il avait entendu depuis qu'il était bloqué là était son rire, celui d'un fou enfermé.
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L'Enfer Blanc
Short StoryL'enfer dure une vie. Il commence avant l'enfermement, s'amplifie pendant et continue après, jusqu'à ce que la mort vous libère.