Bleu Pervenche

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C'était le soir. Au beau milieu de la nuit, en fait. Les hommes en blanc, ceux des médicaments, ils étaient partis dormir et il ne restait plus dans les couloirs que les dames en bleu pervenche qui cachaient des seringues dans leurs poches pour s'en servir à la moindre occasion. J'aimais bien le bleu pervenche, ça me rappelait le tablier de Maman. Mais elle ne le mettait jamais pour venir me voir. Les hommes en blanc, quand je leur disais que Maman venait me voir, ils riaient, faisaient des sourires gentils et demandaient aux dames en bleu de me donner plus de cachets. Au début je les prenais tous mais ensuite, j'ai arrêté parce que pour moi, c'est du poison. Alors je les ai cachés sous mon oreiller pour les jeter dans le jardin après. Mais ils ont fini par s'en rendre compte et je n'ai plus eu le droit aux promenades. Mais Maman, elle a continué de venir. Elle avait l'air en colère. Peut-être parce qu'elle avait perdu son tablier.


***


Ce soir-là, il y avait de l'orage. Les autres, ils étaient très énervés, comme à chaque orage. Et ils criaient. Moi, je savais que Maman allait venir et pour ne pas lui faire peur, je suis restée silencieuse. Il y a eu un éclair et un grondement dans les collines. Ils avaient installé le château, la maison de convalescence, dans la montagne, loin de tout, parce qu'on faisait peur aux gens. Et l'orage grondait. Il y a eu un autre éclair puis j'ai vu que Maman était là. Elle avait encore l'air fâché.

"Tu as perdu ton tablier, Maman ? ai-je demandé.

-Et tu crois que c'est pour ça que je suis furieuse ? a-t-elle répondu. Alors tu es vraiment bien là où tu es !!!

-Justement, puisque tu es là, je me disais que peut-être tu pourrais dire au monsieur des médicaments que je ne suis plus malade et que je peux rentrer à la maison avec toi !"

Là, Maman s'est mise à hurler et je me suis faite toute petite. Elle était vraiment énervée et ça m'a fait peur.

"Mais Noémie, tu délires complètement ! Après ce que tu as fait, tu crois qu'on va te laisser partir ?"


***


Il y a eu un craquement et Maman s'est retrouvée derrière moi. J'avais oublié qu'elle pouvait courir aussi vite.

"Et même si c'était possible, tu crois que j'aurais encore envie d'être avec toi après ce que tu m'as fait ?"

Là, j'ai commencé à paniquer. J'ai crié très fort et les gens des autres chambres ont crié encore plus fort que moi.

"Mais Maman, c'est pas moi qui te l'ai pris, ton tablier !

-Mon tablier ?! Mon tablier ?! Je vais te remettre les idées en place, ma petite !"

Et Maman a foncé vers moi et est rentrée dans ma tête.

Et à travers mes paupières  fermées, j'ai vu Maman dans la cuisine. Elle était en colère après moi parce qu'elle avait perdu son tablier et sa chemise rose. Elle disait que je lui avais volé ses affaires. Et à ce moment là, je n'ai plus eu besoin de regarder les images que Maman me montrait parce que je savais ce qui s'était passé ensuite. Je me fâchais, Maman criait, je frappais partout avec tout ce qui me passais sous la main et Maman tombait par terre et ne bougeait plus tandis que le sol prenait une teinte rouge foncé...


***


Enfin, Maman est sortie de ma tête et je me suis rendue compte que je hurlais.

"Tu vois, a lancé Maman, tu la mérites, ta place dans ton asile de fous !"

A ce moment-là, une dame en bleu a ouvert la porte en métal de ma chambre et, du coin de l'œil, je l'ai vue sortir une seringue dans sa poche tandis qua Maman se volatilisait.

"C'est de la faute de Maman, elle est venue me voir ! C'est elle qui a crié, pas moi ! ai-je hurlé, terrifiée.

-Je vois mal comment elle pourrait encore crier, puisque vous l'avez tué, Mademoiselle Lardent."

Et l'infirmière est partie en refermant la porte de ma cellule à clé.

Mais j'ai hurlé de plus belle parce que moi, j'avais bien vu le bout de tissu bleu pervenche que Maman avait laissé derrière elle et dont les liens commençaient à s'enrouler autour de ma gorge.

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