Chapitre 2

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" Wow t'es trop belle! "
Je rougis. Il me trouve belle et pourtant, je pouvais difficilement faire pire que mon état actuel. J'ai la peau moite due à la chaleur estivale, des cheveux d'anges autour des tempes, quasiment plus de maquillage, et surement les yeux cernés par la fatigue. Je lui souris timidement et réponds:
- Merci, c'est gentil. Qu'est-ce que je vous sers ?
Il me sourit bêtement:
- Non mais vraiment. T'es trop belle. Première fois de ma vie que je vois quelqu'un d'aussi belle. Je crois que j'ai un coup de foudre.
Oh non.
J'ai horreur de ces approches pleines de lourdeur. Un coup de foudre? Sérieusement? Décidément, ce sont tous des beaux parleurs et je n'aime pas ça, pire même, je déteste!
Je le regarde fixement sans répondre, fronçant les sourcils. Il est plutôt beau : il a le teint mat, de grands yeux marron, une bouche charnue et une barbe brune bien taillée. Il a une balafre sur la joue. Dieu que ça lui donne un charme. Il continue de sourire. Il n'a pas spécialement de belles dents: les deux premières sont légèrement espacées et je remarque qu'il lui manque une molaire du côté droit.
Moi qui suis habituellement très à cheval sur le sourire d'un homme, le sien ne me repousse pas. En fait, je dirais même que ça lui va bien et pousse son charme un niveau au-dessus.
Il ajoute:
- Quoi, pourquoi ce regard? Je te jure t'es belle! C'est abusé!
- Oui, bien-sûr... Dites-moi, qu'est-ce que je vous sers ?
Je ne crois pas à son bla-bla, surement le même rabâché à toutes les filles croisées ces derniers mois.
Il prend alors un air surpris et se retourne pour interpeller les deux autres personnes qui l'accompagnent. Ils se rapprochent de nous.
- Oh, franchement, elle est pas trop belle?
De pire en pire. Je commence à être vraiment mal à l'aise.
Il continue:
-Elle me croit pas! Numo, dis-lui que je dis pas ça à toutes les filles! Dis-lui qu'elle est belle! Shone! Dis-lui aussi!
Je reste plantée là, devant mon stand, rougissant de plus en plus. Je suis incapable de dire un mot. Un de ses amis lui répond alors :
- Si, t'as raison elle est belle.
L'autre me regarde et lance:
- Je te jure il est sincère!
Je ne réponds pas, bien trop gênée. Heureusement, ils s'éloignent déjà.
- C'est mes cousins eux. Bref, dis-moi ton nom? En vérité t'as un visage de poupée.
- Je m'appelle Oushka.
- Oushka? C'est original ! J'aime grave. Moi je m'appelle Tyno.
Brrr. Je n'aime pas son prénom... il est si mate de peau, de quelle origine peut-il être. Sans que j'ai à le lui demander, comme si il lisait dans mes pensées, il ajoute:
- Je suis un gitan. Toi aussi, non? Ça se voit, tu ressembles à une gitane.
J'explose de rire. C'est censé me flatter, que de ressembler à une gitane? D'autant que je suis peut être typée, mais je n'ai rien d'une gitane: mon père est un algérien et ma mère française. Je ne sais pas pourquoi mais dans mon esprit, et ce depuis des années, les gitanes ont une mauvaise image.
Je lui lance:
- Non, c'est sérieux? Ça partait d'une bonne intention je pense alors je vais essayer de le prendre comme un compliment. Mais sache que si tu veux draguer une fille, lui dire qu'elle ressemble à une gitane, c'est pas le top.
Il sourit mais ne semble pas comprendre pourquoi. Je continue, décidant de changer de sujet:
- Mais merci, bref, je vous sers quoi? Mon patron regarde.
En réalité, Mika est encore plongé dans sa discussion et son café, près de la barrière. Mais j'espère qu'en disant cela il va enfin me lâcher la grappe, je n'aime pas sa manière de faire, je sens que c'est un homme à femme et je n'ai pas le temps pour ça. Et puis, c'est un gitan. J'ai entendu toute sorte de chose sur les gitans, ils ne se marient qu'entre eux et se moquent bien des non gitanes. Non, non, pas envie de m'embarquer là-dedans. Ça ne collerait jamais.
- Passe-moi une canette d'icetea. Non, mets m'en deux plutôt.
Je me penche par-dessus le petit frigo du stand et plonge ma main pour récupérer les canettes demandées.
- Tiens, 4 euros s'te plait.
Il prend les canettes dans ses mains et me tend un billet de cinq. Pendant que je lui rends la monnaie, il me dit:
- J'peux pas partir sans ton numéro j'te jure.
Ahah. Je savais qu'il finirait par me le demander. Ce genre d'homme est tellement prévisible. Je lui souris et réponds, mourant d'envie d'abréger la conversation:
- Non, désolé. Je ne donne pas mon numéro.
- Ah, t'as quelqu'un c'est ça? Je suis pas jaloux t'inquiète !
Je reste bouche bée : quel bof, quelle genre de filles sont charmées par ces approches de lourd?
- Je n'ai personne, mais je ne donne pas mon numéro.
Il ne s'arrête pas de sourire. Malgré mon agacement je commence à me dire que peut être me trouve-t-il vraiment jolie au final? Il se mord la lèvre et semble être en train de réfléchir. Il soupire:
- C'est vraiment dommage. T'es trop belle. J'ai jamais vu ça. Vas-y tant pis, merci fais attention à toi.
- Merci, bonne journée."
Il tourne les talons et rejoins ses cousins plus loin. Ils se placent près de la scène pour écouter le petit concert de musique gitane qui commence à peine. Il a un de ses charmes.
" -Tu t'es encore faite dragué la moche ?
Je me retourne. Mika m'a rejoint, il s'allume une cigarette.
- N'importe quoi, il est venu me prendre une canette c'est tout.
- Ah ouais? Pourtant il fait que te fixer – me dit-il en faisant un mouvement du menton.
Je suis son regard, et croise celui d'Elie. C'est vrai qu'il ne s'arrête pas de me regarder, même de loin. C'est si gênant. Je détourne le regard et m'adresse à Mika:
- Hm... T'as discuté longtemps avec le gars d'à côté. T'es pire qu'une fille, une vraie pipelette.
- Ouais, ils vont me faire une promo sur les merguez. Elles viennent de la meilleure boucherie de la ville quand même, c'est pas d'la merde. - il allume sa cigarette - Je vais fumer plus loin et je reviens. Y a moins de monde, c'est du à l'heure je pense. "
Je m'accoude sur le mini frigo et jette un coup d'œil dans la direction de Tino. Il est en train de me regarder. Encore. Je baisse les yeux un instant, puis les relèves. Il est en train de s'approcher du stand. Oh non, il va encore me bassiner pour avoir mon numéro. Je regarde mon t-shirt, j'ai des miettes collées sur le haut du buste. Quelle horreur, comment je peux lui plaire dans cet état ?
" - Je peux pas m'empêcher de te regarder! T'es vraiment trop belle! Ok tu veux pas me donner ton numéro... Mais prends le mien! S'te plait! Et si t'as envie tu m'envoies un message! S'il te plait!
Je souris et réponds, gênée:
- Non.
- Si, allez! Ça ne t'engage à rien.
Il n'avait pas tort au fond. Quand j'y pense... quinze jours sans nouvelles de l'autre, autant dire que je suis bel et bien célibataire. Et puis, si je prends son numéro ça ne m'oblige pas forcément à lui envoyer un message.
- Allez Oush... Oushka c'est ça?
- Oui, Oushka. Ecoute, si tu veux pour le numéro, mais c'est pas sûr que...
Il ne me laisse pas le temps de finir ma phrase et me dit:
- Note le, note !
Je sors mon portable avec beaucoup d'hésitation, inscrit son numéro dans les Notes, puis le verrouille.
- C'est bon.
- Ok, envoie-moi un message après, s'il te plaît. Tu finis à quelle heure? Oh, t'es trop belle j'ai un coup de foudre là c'est sûr. Tu m'envoies un message ce soir sur, sur, sur?
- On verra.
- Si. Je sais que tu m'enverras un message, je l'ai même dit à mes cousins. Envoie en un quand t'as fini. Promis?
Je souris sans répondre. Il ajoute:
- Tu me redonnes une canette d'ice tea au passage s'te plait?
J'ouvre le frigo, attrape une canette, et la lui tend. Il paye, me remercie et s'en va rejoindre ses cousins près de la scène. Je l'observe de loin, il me lance des regards, par ci par là, sans arrêt.
J'ai noté son numéro mais je ne l'appellerai finalement pas. Hors de question. Je suis indecise, mais me convainc que ça ne sert à rien d'essayer. C'est un gitan, et surement un homme à femme, je le sens.
Les minutes passent lentement. Quelques personnes viennent m'acheter un bout de pizza, ou une boisson. Une fois le concert de musique gitane est fini, le monde qui s'était agglutiné près de la scène de spectacle commence à s'écarter, reprenant leur promenade dans ce grand parc d'oliviers.
" -Oh!
Je regarde à ma gauche et reconnais l'un des cousins de Tino, il me lance:
- Mon cousin tu lui plais trop, on s'en va là, il m'a dit de te dire de lui envoyer un message ce soir! Ok?
Je rigole bêtement, alors là, il ne manque pas de toupet, je commence presque a être convaincue que je lui plais pour de bon. Je réponds, amusée:
- On verra."
Il tourne les talons et se dirige vers la sortie du parc, rejoignant surement Tino et son autre cousin. Initialement je ne voulais pas rentrer dans son jeu de drague, et me voilà son numéro dans mon portable, réfléchissant à ce que je compte faire.
Une légère brise soulève les mèches tombées de mon chignon. Il fait si beau, si bon en cette fin d'après-midi, la chaleur s'étant estompée. Je prends une grande inspiration et attrape mon téléphone.

Entre parenthèses Où les histoires vivent. Découvrez maintenant