Lou' et moi

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"Il y a d'abord eu elle, puis moi. Il y a d'abord eu les cris, les pleurs, la tristesse et l'effroi. Il y a eu moi.

Lou' n'est pas arrivé comme on l'attendait, elle est née avec une multitude de maladies prenant possession de son corps, de sa chaire. Ses reins ont été touchés, ses poumons sont comme noyés. Tous les jours, depuis sa naissance, Lou' doit se rendre à l'hôpital pendant au moins une heure : ses traitements étaient en train de l'affaiblir peu à peu, les médecins tentaient, en vain, de trouver une solution. Maman et papa la voyaient dépérir... C'était un spectacle  tragique, sans nom, sanglant à sanglots. Un psychologue, dont elle aimait la voix rauque et grave, venait régulièrement lui rendre visite à la maison. Je me souviens l'avoir vu plusieurs fois, et ce qui m'a le plus marqué tout compte fait, ce n'est pas tant ses craintes au sujet de ma soeur mais bien ce regard. Un regard froid, comme une transition apres l'automne. Le beau temps s'estompait dès  que nos regards se croisaient. Il changeait complètement.  Il ne trichait pas, lui. La vérité ruisselait depuis longtemps dans les méandres de la vie.

Lou' : un diminutif, un surnom affectif, des angoisses et des sourires. Louane est ma grande soeur, ma véritable raison de vivre, mon sourire, mon bonheur. Si je suis ici aujourd'hui, c'est pour elle. Uniquement pour elle. Cette volonté ne l'est pas propre, elle m'a été inculquée depuis tout petit. En effet, je ne suis pas un garçon comme les autres, je ne suis pas un adolescent qui côtoie les bancs du lycée ou sort en soirée. Je suis le fruit d'années d'expériences, ainsi que le résultat de recherches scientifiques. Je possède en moi une infime partie de la science, on le considère comme le fils de mes parents sans pour autant l'être réellement. Ma naissance s'est faite dans un laboratoire d'analyse : je suis un processus. Enfin, si on peut dire que «naître» est le verbe approprié, j'ai plutôt été imaginé, testé puis créé. Les grands hommes tous vêtus de ces capes blanches m'appelaient K/35, puis je suis devenu Greg. Mon enfance était rythmée par les perfusions, IRM et rayons-X.

Quand je disais que ma grande soeur était mon unique raison de vivre, je ne mentais pas. Je n'ai en aucun cas, la prétention de croire que le noyau de son existence se reflète en moi. Il s'agit seulement d'une réalité monstrueuse. Nous demeurons libres et égaux en droits, mais seulement jusqu'à quand?Je suis cette chaîne au pied de ma soeur. Aucun narcissisme, aucun égocentrisme, une simple réalité, qui plus est, est abjecte. Entre eux ils me nomment « l'enfant-médicament ». L'amour n'est pas la base solide de ma conception, ce n'est pas la raison de ma venue. Je n'ai pas été désire avec autant de force. Je suis la conséquence d'une cause. Mes parents souhaitaient « sauver » ma soeur, par tous les moyens possibles. Je suis arrivé. Désormais, je comble les manques en carence en magnésium de Lou', lui donne mon sang à tout va. J'ai déjà donné l'un de mes deux reins, j'ai dû prendre du poids afin que l'on puisse m'extraire un bout de peau. Celui-ci a servi à cicatriser ses brûlures naturelles. En quelque sorte, je suis comparable à une perfusion. Nous sommes, Lou' et moi, liés par les liens étroits de ses maladies foudroyantes.

Cela fait quelque temps maintenant qu'elle commence à aller mieux et j'en suis heureux. En apparence. Je vois bien que ma présence fait tache, qu'elle gêne et sème le trouble. Après tout je ne suis qu'une pilule, un médicament, un tout autre traitement. Cela fait treize années que ma fonction d'être vivant ne consiste qu'à donner, donner à une fille extraordinaire cependant. Son courage, pareil à la roche, sépare les courants maladifs. Elle fait face sous le regard émerveillé et anxieux de ses parents. Des parents qui ne sont finalement pas les miens. Je ne suis que K/35 alias Greg, le résultat de milliers de tests et de recherches. Personne n'oserait se préoccuper de moi, de mon moral ou mes envies. N'être seul dans ma chambre en attendant le nouvel appel, puis me réveille en pleine nuit. Un jour, je rêverai de voir le monde extérieur et donc pouvoir sortir et me confondre dans l'immensité de nos territoires. L'enfant-médicament n'est pas moins un Homme ayant une bouche, des yeux , un nez et tout ce qui la majeure partie d'entre vous. J'aimerais que l'on me considère un peu plus.

On ne fait pas des enfants dans le but de les tendres immortels, pas plus qu'on en met d'autres au monde dans le but de tendre à cette immortalité. Personne n'est un objet, personne n'est une chose. Nous ne sommes pas personne, nous sommes des personnes. Là est la subtile nuance."
L'usine à textes. 🕯

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Yay !! Ça y est c'est le 100ème texte que je poste!
Pour fêter ça, un texte de 818 mots! 😱

Merci d'être toujours là, je vous aimes <3

Bisous, Yona

Les phrases de YonaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant