Les fréquentes exagérations de Blanche me faisaient sourire gaiement, jusqu'à un certain soir. J'étais arrivée depuis près de deux mois au manoir quand une farce d'Alix faillit dégénérer. Blanche et moi venions de coucher les enfants et de nous installer au salon pour boire une tasse de thé avec Suzanne. Celle ci arrivait avec le grand plateau et passa sous le grand lustre. A cet instant précis, celui ci se décrocha et dans un réflexe malheureux, la cuisinière parvint à l'éviter en se jetant par terre. Le lustre s'écrasa dans un immense fracas sur le plancher. Blanche et moi avions hurlé et nous étions levées d'un bond. Inquiétés par le bruit, entrèrent en trombe Joseph et Simone, très vite suivis de Perrine et d'Alix. Sous le choc, Blanche et Simone étaient tétanisées. Quand à moi, je m'étais précipitée au secours de Suzanne. Elle gisait sanglottante sur le sol. Elle avait été ébouillantée sur tout le buste et le visage par le thé brûlant et son pied gauche avait été écrasé par le lustre.
Joseph m'aida à la dégager et nous l'installames sur le canapé. Blanche dégagea les morceaux de verre de son pied tandis que Simone appliquait de l'eau sur ses brûlures. Me sentant inutile, je contemplai les dégâts. Le lustre gisant en débris était immense, il devait peser près de 500 kilogrammes. Il aurait tué Suzanne à coup sûr s'il était tombé sur elle. Par chance elle avait eu cet excellent réflexe. Le plateau était au sol, au milieu d'une flaque d'eau et des bris des tasses et de la théière. Derrière la table, près de la porte se tenaient les deux petites filles, l'une dans les bras de l'autre, tremblantes et apeurée. La scène était impressionnante. Je jettais un regard derrière moi puis conduisai les petites vers la porte. Je les raccompagnai dans leur chambre ou elle se recoucherent encore tremblantes. Je tentai de les rassurer et les laissai dormir. Tremblante moi aussi, je redescendis maladroitement l'escalier tout en évitant soigneusement chaque lustre que je rencontrais. J'entrai au salon. Joseph était parti chercher un médecin. Suzanne était encore plus blanche que d'habitude et tous les regards étaient posés sur le cadavre de lustre. Chacun se demandait en silence comment ce mastodonte avait pu tomber ainsi. Le temps semblait s'être arrêté. Le médecin finit par arriver, il examina Suzanne, banda son pied, et appliqua une pommade sur ses brûlures. Celles ci n'étaient pas graves, sauf pour une vilaine plaie dans son décolleté. L'état de son pied était plus préoccupant. Avec un air désolé, le docteur dit gravement que même une fois remise, elle boiterait toute sa vie. Suzanne accepta la sentence en silence. Le médecin prit congé et nous restames seuls à contempler le lustre. Joseph porta Suzanne dans sa chambre aidé par sa femme. Quand ils furent revenus, le jardinier examina longuement le lustre. Blanche et moi nous étions assises sur le canapé. Cependant, intriguée je me levai et soufflai au jardinier : "Comment ce lustre a t'il pu tomber?" Celui ci regardait le plafond, puis le haut du lustre. Il se tourna vers ces dames et annonça que la chaîne avait été sectionnée intentionnellement. Un frisson glacé nous parcourut. Toutes nos pensées se dirigèrent vers Alix. Je pris la parole : "Non! Alix n'aurait jamais fait une chose pareille ! Ses farces sont parfois dures mais pas dangereuses ! " Blanche répondit :
" - Et le savon dans l'escalier n'était il pas dangereux ? J'ai glissé sur la première marche et j'aurais pu me rompre le cou. Cette farce comme vous dites aurait pu coûter une vie. Comme elle n'a pas réussi la dernière fois, elle recommence. Et la prochaine fois ? Elle mettra le feu à la maison? Elle trouvera un pistolet ? Elle est devenue dangereuse et elle en veut à quelqu'un !
- Elle n'a que 6 ans! Comment voulez vous qu'elle ait pu accéder à la chaîne au plafond et surtout la couper? Avec quel outil?
- Avec la scie qui a disparu ce matin de mon cabanon. Lâcha Joseph. Elle a été volée cette nuit."
Je restai sans voix. Simone ajouta qu'elle avait laissé le lustre baissé pour son nettoyage, plusieurs minutes le matin-même sans surveillance. Je ne pouvais croire que la petite fille avait pu commettre pareil acte. Cela ne ressemblait pas à ses tours habituels, cette fois ci c'était malveillance pure. Et le lustre était tombé à un moment bien précis, choisi. Or Alix était alors dans sa chambre, je l'y avais installée quelques instants seulement auparavant. Ou n'était ce qu'un malheureux hasard ? La discussion stagnait. Je pris congé de mes camarades mais ne pus dormir pour autant. Je me levai le lendemain matin à l'heure pour réveiller les filles mais je devinai à leurs visages qu'elles n'avaient guère plus dormi que moi. Perrine me demanda tout de suite des nouvelles de Suzanne. Alix ne disait rien. Elle avait deviné qu'elle serait accusée. En effet, quand nous nous fûmes installées à table, Blanche surgit, furieuse, avec le plateau du petit déjeuner. Le lustre était toujours au milieu de la pièce. Elle se mit à crier sur la pauvre enfant. Alix subissait les cris sans broncher, aussi Blanche en vint aux mains. Je m'interposai et pris l'enfant par les épaules. La regardant droit dans les yeux, je lui demandai doucement mais fermement : "Alix, est ce que c'est toi qui as fait tomber ce lustre?
- Non! Non! Ce n'est pas moi! Je le jure ! J'aime bien trop Suzanne pour vouloir lui faire du mal!"
Elle ne mentait pas. Je le voyais dans ses yeux. Même Blanche hésitait. Elle se tourna vers moi. "Mais si ce n'est pas Alix, qui a sectionné l'attache ?". Je répondis par un haussement d'épaules. Quand les filles furent occupées à leurs devoirs, je retrouvai la vieille femme à la porte de la salle d'étude.
" - Alix est innocente, c'est une certitude, annonçai-je.
- Perrine n'aurait jamais commis pareil acte, ajouta Blanche.
- Je ne pense pas que vous ayez pu faire cela vous non plus, ni Simone, ni Joseph. Suzanne est hors de tout soupçon, et je me sais non coupable, poursuivai-je.
- Mais il faut pourtant bien que quelqu'un ait coupé cette chaîne !
- Alors c'est un étranger au manoir, lachai-je avec effroi. "
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Nouvelle Lune
ParanormalParce que nous ne sommes finalement jamais ceux que nous croyons être