Chapitre 11 : Duel de l'âme

11 1 1
                                    

Chuck avait fini par s'endormir, Rafaël avait dû attendre une éternité avant d'entendre ce ronflement régulier. Doucement, sans faire de bruit, il se leva et enfila son long manteau, il regarda un instant le bouquet de myosotis puis fit volte-face pour sortir. C'était presque la pause de midi, il allait falloir qu'il se dépêche s'il voulait passer inaperçus. Il restait dans les couloirs quelques hommes en uniformes blancs qui le regardaient de travers quand il passait, insensible à leurs jugements silencieux. Pendant que tout le monde serait à la cantine, lui irait voir cette Prudence Daugey. Seul à seul.

Enfin, la sonnerie de midi retentit, il regarda sans broncher les infirmiers faire entrer les patients dans la grande salle. Certains trainaient la patte, agités, l'un d'entre eux commença même à gémir et gesticuler. Deux des gardes vinrent le maitriser et ils l'emportèrent à l'écart, sûrement pour lui administrer une dose de calmant. Rafaël crut même apercevoir Antineus Goodman assis sur un banc vers le Bloc West. Il sourit en repensant à leur tête à tête, le mot « souris » trainait sadiquement dans son esprit. Quand la cours fut vide, il se mit en route. Il traversa les pavés qui jonchaient l'herbe verte, le soleil était à son zénith et pourtant, même après la tempête, il .n'éclairait pas autant qu'à son arrivée. Il s'arrêta devant la double porte du Bloc East, celui des femmes, juste à côté de l'immense pancarte de bois des règles de l'institution psychiatrique de Missed Creek. Il mit sa main en visière et leva la tête pour regarder le ciel terne, puis il souffla et ouvrit la porte.

L'endroit sentait le produit chimique ou le produit de nettoyage, et à vrai dire, il était totalement silencieux. Au passage, il se faufila dans la salle de commande du Bloc East et arracha une des clés passe-partout. Il sortit et repris son chemin. Les murs étaient blancs, nettoyés impeccablement, les seuls meubles étaient des bancs entièrement recouverts de coussins qui longeaient le mur à droite. Les cellules étaient toutes fermées et elles étaient vides à en juger par ce silence pesant : tous les patients étaient à la cantine. Du moins c'est ce qu'il crut jusqu'à ce qu'il entende des pas résonner au bout du couloir. Rapidement, il balaya des yeux ses possibilités et alla se cacher derrière la porte d'une des cellules ouvertes. Il attendit que les pas s'en aillent mais en réalité ils se rapprochaient, il eut alors peur de se faire attraper. Il posa ses mains sur sa bouche pour minimiser son bruit ; il ne voyait rien derrière cette porte mais il entendit bien deux personnes arriver et s'arrêter à quelques mètres à peine. Une voix masculine parla, elle fit entrer une patiente dans sa cellule, celle en face de la cachette de Rafaël. Lentement, il passa sa tête devant la petite vitre de la porte pour espionner : l'infirmier ferma prestement la porte et s'en alla. Il ne le remarqua pas, sans doute heureux de pouvoir partir manger. Rafaël vit une tête dépasser de la porte d'en face, il la reconnut tout de suite : c'était Tara, l'ami de Prudence.

Ils se regardèrent un moment sans broncher puis Rafaël vint poser son doigt contre ses lèvres pour signifier le silence. Il se glissa hors de la chambre vide, regarda une dernière fois Tara. Elle semblait triste, encore plus désespérée que lors de l'entrevue. Il baissa les yeux, il ne pouvait rien pour elle, qu'importe ce qu'elle ait pu faire. Alors il passa son chemin, traversant des dizaines de salles dont les noms, accrochés à une étiquette, ne lui disaient rien. Puis il arriva au bout du couloir et s'arrêta net.

« Prudence Daugey »

Rafaël ferma les yeux, inspira profondément et tendit sa main légèrement tremblante vers la serrure. Il tourna le passe-partout et entendit le déclic. La lourde porte s'ouvrit lentement, découvrant une pièce éclairée seulement par la lueur d'un piètre soleil derrière une petite vitre grillagée. Il passa sa tête bouclée à travers l'entrebâillement de la porte, regardant avec appréhension : elle était bien dans sa chambre. Allongée sur le lit, c'était une petite forme mince aux cheveux noirs qui s'allongeaient sur le lit, complétement en bataille. Sans doute dû à son tempérament de lionne. Une lionne en cage. Rafaël entra puis referma derrière lui. L'endroit était silencieux, vide, il n'avait qu'une chaise de bois, un pot de chambre et un lit de métal où était étendue la femme, le dos tournée. Il savait qu'elle ne dormait pas, il le sentait, sa respiration n'était pas celle d'une personne paisiblement assoupie. Elle devait regarder le mur, sans broncher, sans même vouloir savoir si la personne qui venait d'entrer était un infirmier ou non.

The islandOù les histoires vivent. Découvrez maintenant