Chapitre 1

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       Le soleil normand perçait à travers les feuilles des arbres, réchauffant inégalement la terre du chemin. Au loin, dans le village, portés par le vent, les cris des enfants s'amusant dans les rues troublaient le silence de la campagne alentour. Dans les champs, on pouvait voir les paysans au travail, fauchant le blé de leurs faucilles. Le meuglement des vaches rythmaient les coups de faux des travailleurs, les accompagnant dans leur tâche. Sur la route gravillonnée, une calèche avançait à une allure tranquille. Le trot des chevaux soulevait un nuage de poussière qui se dissipait rapidement dans le vent. Au passage de la voiture, les faucheurs s'arrêtèrent pour la regarder passer et retirèrent leurs chapeaux pour la saluer. Au bout d'une dizaine de kilomètres dans la campagne normande, la calèche s'engagea dans une allée ombragée par d'imposants platanes. Au bout se dressait une superbe bâtisse de pierre rouge et au toit d'ardoise. Les murs étaient percés régulièrement par de grandes fenêtres qui reflétaient le soleil, éblouissant quiconque les regardait. Tout autour de la maison s'étendait un immense parc traversé par d'élégantes allées de gravier qui longeaient les parterres de fleurs colorés ainsi qu'un petit lac et s'enfonçaient ensuite dans un bois de chênes et de châtaigniers. Les senteurs de la nature virevoltaient dans le vent chaleureux de l'été et emplissaient l'habitacle du fiacre qui venait de s'arrêter devant les marches de pierre sur lesquelles étaient réunis une dizaine de personnes. Le cocher descendit de son siège et installa le marche-pied avant d'ouvrir la portière pour laisser sortir les passagers. Un homme en descendit suivi par une femme élégante qui portait une petite fille dans ses bras. A leur vue, tout le monde s'inclina pour les saluer. Une femme d'un âge s'était avancée, tenant dans ses bras un bouquet d'œillets bleus et d'hémérocalles :

- Monsieur Grégoire, c'est un véritable plaisir de vous revoir parmi nous, dit la vieille femme avec un grand sourire, voici un cadeau de bienvenue de la part de nous tous.

- Merci beaucoup Madeleine, remercia-t-il en prenant le bouquet. Je suis très heureux d'être revenu ici. Ces deux ans à Paris m'ont permis de me retrouver et de me refaire une vie. Mais celle-ci n'est pas complète sans cette demeure et ses occupants. C'est ainsi que je souhaite vous présenter ma nouvelle compagne, Eugénie et sa fille Sophie.

Le personnel s'inclina de nouveau. Eugénie était une femme gracile et élégante. Ses cheveux bruns étaient retenus dans un chignon élégant qui laissait découvrir un cou fin, orné d'un collier de perles blanches. Sa robe couleur ivoire épousait parfaitement ses formes et la mettait parfaitement en valeur. La petite qu'elle portait ne devait pas avoir plus de six ans. Ses chevaux tiraient sur le roux et ses yeux bleus paraissaient fatigués par le voyage qu'elle venait de faire :

- Chéri, Sophie est exténuée par le voyage et il faut quelle dorme. Ma pauvre petite ne tient plus debout, souffla Eugénie à Grégoire en caressant les cheveux de sa fille.

- Oh oui bien sûr, allons nous installer. Ferdinand auriez-vous l'obligeance de monter nos malles dans nos chambres je vous prie.

- Bien Monsieur, s'inclina le cocher.

Les serviteurs s'écartèrent pour laisser passer leurs maîtres puis s'éloignèrent, chacun vaquant à ses occupations dans la propriété.

    Le ciel s'assombrissait peu à peu. La chaleur de la journée laissait place à la fraîcheur de la nuit et la mélodie des grillons fût bientôt remplacée par le hululement des chouettes. Les salles du manoir projetaient leurs lumières dorées sur la pelouse, créant des rectangles brillants sur l'herbe sombre. Dans la salle à manger, plusieurs longues tables étaient dressées et surchargées de plats en tout genre afin de fêter le retour de Grégoire et d'Eugénie :

- C'est un vrai bonheur que de revenir ici. Cet endroit m'avait manqué tout comme ses habitants, s'extasia Grégoire.

- Les jardiniers aussi sont conviés ? s'exclama une voix grave.

Grégoire sentit quelqu'un lui taper sur l'épaule et se retourna, surprit :

- François ! Je ne m'attendais pas à ce que vous soyiez encore ici ! 

- Je suis tenace mon petit, tu as oublié ?

François était le jardinier de la famille. Il était un des premiers à être employé par la famille Bolton lorsque celle-ci s'installa dans la région, à l'époque du père de Grégoire. François était un homme d'une soixantaine d'années. Il était plutôt grand, avec des cheveux grisonnants. Une barbe fournie et hirsute lui cachait la moitié du visage et lui donnait cette allure de vagabond qu'il appréciait :

- Je suis heureux de te revoir mon petit. Tu as manqué beaucoup de floraisons, les tournesols étaient superbes l'année dernière et ceux de cette année vont être encore plus beaux !

- François mon ami, ne pensez-vous pas qu'il serait temps pour vous de passer le flambeau ? 

- Si fait et j'ai mon apprenti ! Mon fils Samuel, répondit le vieil homme tout fier en désignant le jeune homme derrière lui.

- Je suis ravi de l'apprendre. J'espère que vous saurez faire honneur à votre humble prédécesseur, déclara Grégoire en souriant.

- Je l'espère aussi Monseigneur, répondit-il en s'inclinant.

Grégoire s'éloigna après les avoir salués, laissant le père et le fils seul :

- Je ne vois pas Lucille, ni Elisa, remarqua François. C'est étrange.

- Oui, je suis inquiet. Il leur est peut-être arrivé quelque chose sur le chemin ? S'inquiéta Samuel.

- Ne te fais pas de mauvais sang, elles arriveront probablement demain. Allons nous coucher, nous avons beaucoup à faire.


    L'aube venait à peine de poindre que déjà François était dehors. La douceur du matin était agréable. A l'orée du bois du domaine, plusieurs biches broutaient, leurs faons jouant à leurs côtés. Un renard chassait près du petit lac et les chevaux galopaient dans leur pré. Le vieux jardinier appréciait ce moment de la journée, c'était un peu de répit avant la longue et harassante journée qui l'attendait. Des bruits de pas le sortirent de sa rêverie :

- Oh Sam c'est toi. Tu es bien matinal ?

- Je reviens du village. J'ai entendu dire que des loups traineraient dans les environs.

- Des loups ? Allons bon qu'est ce que c'est que ces histoires ? 

- C'est ce qu'on m'a dit oui. Un berger en aurait aperçu deux tourner autour de ses brebis il y a deux semaines.

- Pff ces bergers, toujours en train d'exagérer. Ils confondraient un galet avec un œuf ! Tient aide-moi avec les hortensias veux-tu ?

Samuel attrapa les outils que lui montrait son père puis les deux hommes se dirigèrent vers le manoir lorsque une calèche s'engagea à toute allure dans l'allée, brisant le silence de la propriété. 



Les sœurs BoltonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant