I.

2K 193 66
                                    

Naufrage


L'eau, partout.

Et pourtant, l'eau nulle part.

L'eau source de vie, l'eau qui tue.

L'eau est nous,

L'eau s'amasse dans des villes sans toits.


Il suffoque. Il a mal, sa gorge le brûle. Il ne sent plus le bout de ses doigts, et tandis que ses bras gesticulent frénétiquement, il sombre. Les bulles infinies qui s'exhortent à sortir de son nez et de sa bouche s'enflamment dans les rayons du soleil. Puis elles explosent, destins insignifiants. Il s'agite dans une course effrénée contre quelque chose qu'il ne contrôle pas.

Puis ses mouvements deviennent mous et apathiques ; le rideau de plomb noir se referme. Autour, en haut, partout, des cris, des gestes, un long univers bleu et translucide. Par delà ses oreilles étouffées, des bruits de cheveux mouillés, de lunettes qui s'enlèvent, d'un plongeon gracile.

Et quand l'Ailleurs s'éparpille, quand il touche le fond carrelé et les joints bleuis, le Monde s'ouvre. Le rideau s'amincit ; le plomb devient papier. Il redécouvre les autres au travers de minces filaments ; ses cheveux volètent devant son visage. Il se déplace doucement au gré des courants des autres, il assume son rôle de feuille transportée par le vent. Il n'a pas chaud, et plus il le pense, plus la chair de poule s'étend sur ses bras.

Il pense : « Atlantide, où es-tu ? M'as-tu attendu quelque part ? Je suis là, près de toi. Je n'attends et n'espère plus que ton retour... »

Mais tandis que ses yeux se ferment, on le soulève de cette chaleureuse étreinte glacée. Son cou lâche, sa tête dodeline dans le vide. L'eau coule, s'enfuit par tous les pores de sa peau, et quand on l'allonge sur les dalles moches et râpeuses, au bord de la piscine, il vomit. Les gouttes ont un amer goût de chlore, et elles glissent rejoindre les autres dans ces marécages grouillants.

Il a vraiment froid, maintenant. Il tremble et ses bras tressautent contre ses flancs. Sa jambe part vers la droite, heurte le front d'un gamin. Il produit une sorte de gargouillement étouffé et de l'eau rentre dans son nez. Il n'avait qu'à fermer sa gueule. Il arrête de brailler, alors il s'autorise à respirer quatre fois. Son talon est toujours plongé dans l'eau douce. Au dessus, des visages, des gens, des vies se succèdent. Il ne les regarde pas vraiment ; Il ne sait plus trop où se situer. Son corps est lourd, flasque, et les peaux s'accumulent sur la pulpe de ses doigts.

Ce qu'il est, passé et futur, est disséminé dans les parcs, les mères enceintes, les cercueils enterrés et les maternités.

Puis, brusquement, deux claques sur mes joues et une voix rapide :

« - Hé ! Tu m'entends ? »

La voix geint, et les tapes se font plus faibles. Il n'a pas envie d'ouvrir les yeux. Pour l'instant, Bouboule se repose et vous emmerde.

« - M'sieur, pourquoi il ne répond pas ? Il n'est pas mort, hein ? Il ne peut pas mourir... »

A côté de sa tête, les pas lourds et erratiques du professeur de sport résonnent. Il entame les mêmes prémices de dialogues stériles ; ses mots écorchés tapent contre son crâne, lui donnent mal à la tête, encore un peu plus. Le pote du gamin à qui il a donné un coup de pied arrive et lui lance du chlore à l'odeur d'urine sur le visage. Il retient sa jambe juste à temps, mais il ne peut désormais plus faire semblant.

Les Naufragés | HopeMinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant