Chapitre 1

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Downtown, Oregon. Automne 1857.
Thomas Valentine.

J'entendais ses gémissements, entrecoupés de larmes à quelques pas de moi alors que je toisais son agresseur. Le souffle court et saccadé par la colère, la sueur me perlait au front et dans le creux du dos. Elle était assise à même le parquet mal entretenu, le mobilier en bois grossier autour d'elle ayant été renversé. Ses jupes relevées sur ses cuisses m'incitaient à y poser mon regard une nouvelle fois. Je me l'interdis. Les marques de coups parcourant sa peau mate, signe qu'il l'avait de nouveau battue et bien pire encore vu son corsage déchiré n'aurait fait que m'encourager à le tuer. J'y songeais pourtant depuis que je savais ce qu'il lui faisait subir, depuis qu'elle avait eu le courage d'oser tout me raconter. Et d'avoir cette raclure devant moi à cet instant, pris pratiquement sur le fait me rappelait ce désir de le faire passer de vie à trépas qui me tiraillait depuis des jours.

Or il ne fallait pas. Je devais le faire arrêter, laisser la justice s'en charger plutôt que m'en occuper moi-même. Moi, le fils du pasteur Valentine. Quel affront, quelle ironie ce serait d'ôter la vie, même celle d'une crevure comme ce type, alors que mon père enseignait le pardon et l'amour de Dieu chaque semaine au cours de ses prêches. Pour lui, pour ses valeurs, je devais me contenir. Mais ma main droite me démangeait de ne pouvoir me saisir de mon arme, et d'un simple mouvement de l'index sur la gâchette, en finir une bonne fois pour toutes. Le laisser aux bons soins du Seigneur et de ses anges. Ou plutôt l'envoyer brûler en enfer.

– Tu ne vas tout de même pas croire cette catin ! me cracha-t-il hargneusement au visage.

– Il s'agit de votre fille, votre chair, votre sang. Comment avez-vous pu !

Et ce fut sous de nouveaux sanglots de la part d'Anna alors que son père, la source de tous ses maux, déversait un flot d'injures et de menaces contre elle que ma main droite, ne m'obéissant plus, se saisit de mon pistolet.

– Arrête Tom ! Tu vois bien que c'est faux ! Ces marques, c'est elle qui les a faites ! Elle est folle ! Elle veut juste la ferme pour elle seule ! Ne tombe pas dans son piège. Thomas !

Un piège ! Mais comment pouvait-il imaginer une seule seconde que je croirais à cet odieux mensonge ! Après avoir vu les traces sur son corps, la terreur imprimée sur sa peau et dans ses yeux lorsqu'elle me laissa la toucher. Cela faisait des années qu'il la battait, qu'il abusait d'elle. Les images qui se formèrent dans mon esprit firent trembler ma main de dégoût alors que je le tenais en joue. Je retins un haut-le-cœur, fermai les yeux afin de chasser ces horreurs et de me permettre de continuer à me contrôler. C'est à cet instant qu'il s'élança sur moi.

Le cri d'Anna me déchira les tympans. Si nous n'avions été si éloignés de la ville, il aurait suffi à ameuter une bonne partie des habitants, dont le shérif. Mais nous étions loin. De cela aussi il en avait bien profité. Combien de fois l'avait-il fait hurler de la sorte, combien de fois avait-elle supplié que cela cesse ? Combien de fois s'était-il moqué de ses larmes ?

Il se saisit de mon poignet, pressa de toutes ses forces afin que je le baisse tout en me le tordant pour que je lâche prise. De combattre un homme même bien plus jeune que lui devait être moins facile que de contraindre une jeune femme, pensais-je et il ne put parvenir qu'a me le faire ployer. De mon autre main, je le frappai, poing fermé. Moins doué du gauche, cela le fit faiblir, mais pas assez. Un nouveau cri, la terreur émanant d'elle me fit l'effet d'un frisson, une poussée d'adrénaline envahissant mon corps et je frappai du genou les parties de son corps dont il se servait lorsqu'il la violentait.

Il se courba en deux, me lâchant aussitôt pour se saisir de ses bourses. Même presque à terre, je ne pu me contenir, je revins vers lui, le frappai de nouveau au visage afin de l'affaiblir. Il tomba à genou et malgré tout, je ne parvenais pas à m'en satisfaire. Le frapper ne me soulageait pas. Le voir blessé et à son tour apeuré ne m'emplissait d'aucune fierté. L'entendre me supplier plutôt que de demander pardon n'effacerait jamais son crime.

Je serrai toujours la crosse de mon arme, l'observant alors que du sang perlait de sa bouche, des larmes de ses yeux. Et l'espace d'un instant, je fus pris d'un malaise, d'un doute. Est-ce que j'avais bien fait ? Est-ce que je n'aurais dû en parler plutôt que de régler cela moi même ? Et ensuite, qu'arrivera-t-il ? Anna serait seule, sans protection, sans soutien. Je portai mon regard vers elle et cette angoisse naissante amplifia. Ses larmes inondaient toujours ses joues, mais son rictus était celui de quelqu'un de satisfait et non plus de terrifié.

– Anna ?

– Tue le Tom, sinon il recommencera. Nous ne serons jamais en paix toi et moi, il sera toujours entre nous, il continuera à me faire du mal.

Mais je demeurai figé devant elle. À cet instant j'avais du mal à la reconnaître. Elle me lança un regard que je ne lui connaissais pas, empli de feu et d'une joie malsaine. M'ordonna une nouvelle fois d'en finir, mais j'hésitai. J'aurais du l'attacher, la ramener en ville voir un médecin, filer tout droit chez le shérif.

Voyant sa mort annoncée par sa propre fille, son père trouva la force de se redresser, lâcha son entre-jambes et se jeta sur elle, mains en avant. Lui aussi semblait être devenu fou. Il la prit par le cou, souhaitant en finir, la faire taire. Quant à moi, totalement perdu face à mes doutes et à cette scène qui m'échappait complètement je relevai le canon de mon arme en sa direction et d'un mouvement non calculé, je tirai.

Scandales à Easton CreekOù les histoires vivent. Découvrez maintenant