Puppy.

21 1 1
                                    

Jeudi, 17 heures quinze. Je descend du bus gris et marche en fixant mes chaussures grise usées. Du monde, du bruit.

Le ciel est gris, les magasins sont encore ouverts, je sursaute en entendant le klaxon soudain de la grosse voiture grise qui me frôle, suivie par une autre, une autre, et une autre encore. Un sans-abris est assis sur le trottoir grisâtre en face, à côté de l'arrêt de bus rempli. Une vieille femme me lance un regard dégoûté alors que je passe devant elle. Je dépasse le tabac du coin, la boucherie, la boulangerie ou je n'allais jamais, petite, de peur que la sorcière à la caisse me jette un sort. Un train passe et un homme gueule, au loin.

Mon jean gris est inconfortable, il m'irrite la peau, mes pieds me font mal, je me sens comprimée dans mon manteau gris trop grand pour moi, je sens ma peau brûler quand un regard y glisse, je sens mes mains se crisper sur la sangle de mon sac gris alors que je suis prête à exploser. Les larmes se pressent dans mes yeux, je dois me retenir de toute mes forces pour ne pas laisser échapper un sanglot pathétique.

Je prend le raccourcis, plus tranquille, qui chemine entre les grands immeubles gris de la banlieue grise. Moins de monde, moins de bruit. Je sens mes forces faiblir et les larmes redoubler d'effort pour sortir et glisser sur mes joues, mon menton, jusqu'au béton gris. Mais je les retiens, en accélérant le pas.

Là, maintenant, tout de suite, je n'en peux plus. Je veux juste partir, loin, loin de tout le monde, me mettre en boule et pleurer toute les larmes de mon corps. Loin, loin du monde.


Tout à coup, sorti de je ne sais ou, une minuscule boule blanche comme la neige bondit vers mes jambes en jappant, brisant l'harmonie grise du paysage déprimant. C'est un chiot, qui m'arrive à peine plus haut que la cheville. Un bébé Yorkshire. Il pose ses deux pattes avant sur mon tibia, comme un enfant qui voudrait devenir grand, sa petite langue rose sortant de sa gueule.

Je m'accroupis, et il en profite pour poser ses coussinets rosés sur mes genoux. Je levais une main hésitante, presque apeurée et effleure le haut de sa tête frémissante d'excitation. Immédiatement, il la pousse, quémandant des caresses. Gagnant de l'assurance, j'enfonçais mes doigts dans ses poils blancs et doux. Comme un nuage. Comme un ours en peluche.

Et ses grands yeux noirs rencontrent les miens.

Et le monde s'arrête de tourner.


Dans les yeux de ce chiot, il y avait plus d'humanité que dans tous les yeux que je n'avais jamais rencontrés. Il y avait de la gentillesse pure, un brin de malice peut-être.

Et un océan d'amour.


En un instant, mes pieds ne sont plus douloureux, ma gorge plus sèche, ma poitrine plus comprimée, et, à ce chiot si innocent, j'offris le plus sincère de mes sourires. Le plus beau que je puisse donner, à ce petit bout de bonheur devant moi.


Une voix me fit lever la tête, et je remarquais pour la première fois la maîtresse du chiot. Elle me regardais, un sourire aux lèvres. Immédiatement mes joues s'embrasèrent, et je me levais, la remerciant rapidement avant de reprendre mon chemin en coup de vent, sans l'écouter.

Et alors que je m'éloignais, le sourire restait, tout comme les deux yeux noirs ancrés dans mon esprit.


Et mes larmes coulèrent. Mais celles-là, elle ne faisaient pas mal. Celle-là, elle ne sortaient pas de force. Celle-là, elles faisaient du bien, elles étaient belles.

Mes larmes coulèrent, dans cette rue, sous ce ciel gris qui ne paraissait plus si terne, et ce monde qui ne paraissant plus si foutu. Les premières gouttes de pluies se heurtent à ma peau, et je ne me suis jamais sentie aussi vivante.

Pieces of Dreams.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant