Prologue

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Il était là. Assis sur un banc miteux, au fond de cette vieille cour miteuse, habillé d'habits miteux. Observant ses camarades stupides, qui parlaient de choses futiles. Il voyait. Il voyait les garçons jouer au foot, avec la rage du jeu au ventre, criant sans s'arrêter, tantôt de joie, tantôt de dépit, en fonction de l'équipe gagnante.

Il en voyait d'autres là bas, petit groupe au fond de la cour, qui discutaient en pianotant sur leur téléphone, se montrant leurs derniers scores aux jeux vidéos.
À sa gauche, des filles cette fois, se prenant en photo, les sourires pas du tout naturels malgré leurs efforts. La bouche exagérément avancée, se recoiffant toutes les 5 minutes en espérant devenir la perfection incarnée rien qu'en changeant de pose. Et elles recommençaient, trouvant toujours un défaut - rougeur imperceptible sur leur visage, ce genre de chose - sur leurs têtes trop maquillées.

À sa droite, une bande mixte. 3 filles et 4 garçons, dont 2 légèrement à l'écart, se tournant autour. Ils se parlaient en souriant, mal à l'aise, ça se voyait. La façon que l'adolescente avait de sautiller d'une jambe à l'autre toutes les 10 secondes, de s'esclaffer bruyamment à chaque blague - même pas drôles - de l'autre, et la manière que lui avait, de passer sa main dans ses cheveux nerveusement. Le jeu de la séduction était à l'oeuvre, dans toute sa splendeur. Ces deux là ne tarderaient pas à finir comme ceux juste devant lui.

Il avait une vue "formidable" sur les jeunes s'enlaçant à quelques mètres de là. Accrochés l'un à l'autre telles des sangsues. Il voyait, et il entendait. Il entendait les mots doux que les tourteraux se murmuraient à l'oreille, et il entendait, les bruits de succion peu ragoûtants, lèvres contre lèvres, peau contre peau.

Il entendait, les bruissements de l'arbre au dessus de sa tête, les craquements du bois usé sous ses fesses, les cris, les rires, de toute cette petite assemblée qui lui servait de lycée.

Il sentait, aussi. Les embruns de la nature, masqués par une forte odeur de cigarette et de sueur. Le béton dur sous ses pieds, le bois peint sous ses doigts. Sa respiration, régulière, et les battements de son coeur parfaitement synchronisés avec le reste de son corps.

Il pouvait toucher, voir, entendre, sentir, goûter. Ses 5 sens étaient totalement opérationnels, il débordait d'énergie et de santé.

Il était là. En apparence.

Mais il était seul, contrairement à tout ses camarades de classe. Aucun ami avec qui discuter, aucune connaissance à saluer. Personne ne l'invitant à jouer, personne ne lui faisant signe de loin. Et même si par miracle, quelqu'un l'avait interpellé, ou lui avait juste souri, Aleìxi n'aurait même pas daigné lui accorder une parole. Il se serait contenté de l'observer, fixement, le visage impassible, froid. Le regard vide, dénué de toute expression ; ce regard qu'il arborait tout le temps, à chaque seconde de la journée, en toutes circonstances. Ce regard qui vous transperçait, vous glaçait le sang, parce qu'alors il vous donnait l'impression d'être invisible, de ne plus exister.

Parce que pour Aleìxi Terens, plus rien ne semblait exister, même pas lui. Surtout pas lui.

Il y avait bien longtemps que l'on ne lui adressait plus la parole.
Après tout, à quoi cela aurait il servi?
Quand il lui arrivait de répondre, ce n'était pas pour dire grand chose.

Alors oui il voyait, sentait, entendait, touchait, goûtait. Oui, scientifiquement parlant, il vivait. Il existait, plutôt. Parce que peut on parler de vivre quand l'on vit coupé du monde?

Les rares personnes s'intéressant un peu à lui, telle ses parents, où son proviseur, se posaient toutes cette question : "Ressentait il au moins quelque chose?"

Il était là, en apparence.
Il n'était pas là, en vérité.

Mais où était il, alors? Était il seulement quelque part?

Seul lui le savait.

•La Théorie de l'Interdit•Where stories live. Discover now