Un monstre à PauP

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La nuit venait de tomber sur Port-au-Prince. A croire que le noir limiterait les activités. Mais non, ce n'était pas le cas, les lampadaires s'allumèrent, éclairant de leur lumière tamisée les quelques rues dont la cotisation des habitants avaient réussis à embellir ou plutôt rendre un peu plus claire ces sombres rues dangereuses afin de limiter les pertes de vies. Ceux qui n'avaient pas la thune pour se payer des poteaux de lumières s'armèrent de leurs lampes " tèt gridap" * afin d'éclairer leurs commerces de griots, de saucisses fumés et d'autres "Tchanpan"* qu'on trouve d'habitude le soir.

La nuit en Haïti était un environnement hostile, telle une jungle où le prédateur guette à chaques minutes sa proie, attendant le bon moment d'en faire une simple bouchée. Cette situation était sans doute l'effet secondaire des pillards de la nation, ceux qui remplissaient leurs poches et celui de leurs familles au lieu de s'occuper même un minimum du reste du monde. J'avais grandi au sein même de ce tableau de haine, d'injustices, de scènes macabres, de sang et de tueries. De jours en jours, ce pays me degoutait, impuissant face aux situations.

Impuissant ?

Au début je le pensais mais depuis peu, une envie de révolte me chevauchait. La haine, la peur, les tueries, les injustices avaient comme créés en moi un monstre qui sommeillait au plus profond de moi. Un monstre qui, quand je me regardais face au miroir, rendait l'image que j'avais de moi floue, comme une eau troublée. Cette folie sommeillant comme un volcan attendant son heure.
Comment pouvais-je me dire "Haitien" alors que je restais chez moi à ne rien faire quand les autres se faisaient trucider dans les rues ?

Je sortais de cours, il était 8h du soir et il faisait noir. Mes pas résonnaient tellement qu'on aurait dit des cloches qui carrillonnaient dans cet épais et lourd silence. Sac au dos, j'accélérais le pas afin de rentrer avant les 30 minutes qui suivent si je voulais garder ma tête bien sur les épaules quand je serai face à maman. L'uniforme me désavantageait car connaissant les moeurs de mon peuple, voir un élève sortir à cette heure de l'école était mal vu et il avait bien raison : si je n'étais pas rester à faire des trucs cochons avec cette fille, je serais rentré minimum 4h de l'après midi. Mais j'avais pas prévu que le trafic serait aussi démentiel.
Donc j'avais retiré mon uniforme couleur crème maïs et enfilé un sweat à capuche noir zippé jusqu'au cou et un skinny jeans de la même couleur. Cet accoutrement me fondait dans la masse comme du beurre.

Je marchais à pas d'échassiers quand soudain je cessai nette ma progression. Un cri bouché me parvenait aux oreilles, le cri d'une femme sans doute, je reconnaissais la féminité à travers la voix mais le plus suspect fut la voix d'un homme qui avait repris par un sonore "Fèmen dyòl ou " * et d'un "baff" qui sonnait comme le bruit d'une gifle d'une brutalité exemplaire

La femme éclata en sanglot... J'écoutais un moment ces ébats violents qui avaient lieu dans ce corridor à ma droite à quelques mètres de moi. J'avais la simple possibilité de continuer ma route et d'ignorer tout ce remu-ménage mais je sentis cette haine qui fit crisper ma main involontairement autour de la bandouliere de mon sac qui passait latéralement sur ma poitrine.

Je le balançais dans un coin de la rue avant de foncer à toute vitesse dans ce corridor. Je ne savais pas sur quoi j'allais tomber, ni la quantité d'hommes que j'allais devoir affronter pour sauver cette femme. Mon acte n'était pas héroïque...non... J'avais juste de la haine.

Dans ma course je pus voir deux silhouettes distinctement malgré le noir : un grand balèze qui coinçait un autre dans un coin. Sans même demander d'invitation, j'assenai l'homme ou plutôt le plus grand physiquement d'un puissant coup porté de mes deux pieds au niveau de son épaule le poussant sur un mur de fond. Je tombais sans amortissement sur le sol mais je ne tardais pas à me relever et à prendre le poing de mon opposant en pleine tronche.

Je culbutai comme un homme saoul qui n'avait aucun équilibre de ses pas. Mais je sentis la main ferme du gaillard m'agrippé par le col et l'autre s'abbatre sur mon visage d'une telle furie que mon sang giclait comme la fontaine de jouvence qui pétait des entrailles de la terre.

La douleur devenait plus vive à en paralyser totalement mon visage qui en prenait encore à chaque "Gyet manmanw"* qu'il poussait.

Au final il me laissa 3/4 pour ne pas dire totalement mort, gémissant par terre. Il retourna vers la femme qui restait impuissante face à cette scène pour encore la culbuter de coup de bites et de coups de poings. Je pouvais à peine gémir face à cette douleur. Pourtant même par terre, je ressentais cette haine, cette colère qui m'animait s'amplifier et se matérialiser en une voix dans ma tête qui me poussait à me relever. Cette voix qui me disait "lèves toi tapette, t'as pas encore fini le boulot".

Je posais mes coudes contre l'asphalte brute de la sombre ruelle dans laquelle se déroulait la scène. Je tatonnais, cherchant... cherchant encore... et je finis par mettre la main sur un tesson de je ne sais quoi, ce que j'étais sûr c'est que c'était du verre.

Je piquais un nouveau sprint vers l'agresseur en esquivant judicieusement un punch qui visait ma tête avant de le poignarder de mon arme à multiples reprises au niveau de l'estomac. Je le poignardais autant que ces coups de poings avaient heurtés mon visage quelques secondes auparavant, criant de rage comme si je défoulais toute ma haine contre lui. Je le frappais à multiples reprises à tel point qu'il tombait, dos contre terre, essayant vainement de me repousser... J'avais dépassé la centaine quand je ralentissais la cadence de poignardement, ma folie furieuse se dissipant petit à petit.

Finalement je me mettais debout. Ma capuche aspergé de sang cachant ma face de la lueur de la lune qui s'était dissumulée derrière les épais nuages grisâtres. La femme tremblait encore... je me retournais pour m'en aller, titubant, boitillant quand sa voix cassée par l'effroi sans doute me parvena.

-Qui es-tu ?

Je pris quelques secondes pour répondre à sa question afin de reprendre mes esprits réalisant la gravité de l'acte que je venais de commettre. L'homme n'était pas mort, j'entendais son souffle saccadé malgré ses multiples blessures, il avait encore la vie en lui.

-Dites à tous! Dès aujourd'hui, il y a un monstre à Port-au-Prince... Et que les autres qui voudraient faire comme lui, feraient mieux de se tenir à carreau.

Je sortais de la rue, ramassant mon sac, me dirigeant tant bien que mal vers ma maison à deux pas de cette fameuse ruelle où j'ai laissé explosé ce volcan qui dormait depuis si longtemps en moi.
À peine rentrée, je tombais à genoux face à ma mère qui devenait de plus en plus flou à mes yeux. La seule chose dont j'étais conscient, c'est sa voix dire à mon grand frère d'appeler les secours... Et tout devint noir.

{*Lampe tèt gridap : Lampe utilisée créer à base d'une mèche et kérosène.}

{*Tchanpan : Objets démuni de valeur}

Traduction

(Fèmen dyòl ou : Ta gueule.)

(Gyèt manmanw : Nique ta mère )

Rodeur De NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant