Chapitre 1: Le cri

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Blottis l'un contre l'autre, ils profitaient pleinement de ces retrouvailles. La chaleur qui émanait de son corps, son odeur, la caresse de ses cheveux, la douceur de son regard émeraude, tout cela lui avait terriblement manqué. Il savait que la raison de cette distance, qui s'était créée entre eux, était entièrement sa faute. Il regrettait tout ce qu'il avait pu dire ou faire. Tout ce qui importait, désormais, était de l'avoir avec lui et de ne jamais plus la laisser s'éloigner. Ici, tandis qu'ils étaient plongés dans un profond silence, jamais leur complicité n'avait été si grande. Cependant, cette étreinte fut interrompue par un cri strident qui avait traversé tout le palais. Rodrick se détacha de sa compagne qui, elle, s'était brusquement redressée. Ils échangèrent un regard mêlé d'incompréhension et d'inquiétude. Il se leva et sortit avec précipitation de ses appartements, suivi de près par Louise. Les soldats en garnison devant leur chambre n'étaient plus là, ce qui n'était pas bon signe. Il prit sa femme par la main et l'attira après lui. Une agitation se faisait entendre dans les couloirs de l'étage inférieur. En effet, un attroupement de courtisans s'était formé près des appartements de la reine. Rodrick tenta difficilement de se frayer un chemin vers les quartiers de sa belle-mère. En entrant dans la pièce, une odeur nauséabonde l'enivra. Il retint un haut le cœur et regarda sa femme qui s'était couvert le nez avec la manche de sa robe de chambre. En avançant, il vit Kayla en sanglot sur son lit, entourée de sa suite qui tentait de la réconforter, ainsi que de Maître Bauduin, le médecin de la cour, qui essayait de lui faire boire une infusion de camomille afin qu'elle retrouve son calme. Le prince interrogea du regard son ami Richard qui se trouvait déjà dans la pièce. En guise de réponse, celui-ci lui indiqua d'un geste une imposante caisse en bois posée sur la table, au centre de la pièce. Rodrick se sépara de son épouse et s'approcha de ladite boîte. En face de lui, se trouvaient des membres du conseil du roi. Tous étaient rassemblés autour de la table, mais aucun n'avait osé l'ouvrir. En définitive, hormis les sanglots de la reine, tous étaient parfaitement muets. Il tendit la main en direction de la cordelette qui pendait d'un côté de la boîte et adressa un regard à son épouse, qui l'encouragea d'un signe de tête, avant de tirer fortement. Toutes les faces tombèrent les unes après les autres, laissant s'échapper une odeur encore plus forte, et dévoilant une grosse chose plus ou moins sphérique recouverte d'un tissu noir. Louise, qui s'était rapprochée de son époux, s'empara du tissu et laissa rouler son contenu sur la table. Après son passage, il laissait une trace visqueuse et cramoisie. Une fois que l'objet de toutes les attentions eut fini sa course, Rodrick le mit en évidence du bout de sa dague. Une vague d'effroi s'empara de la pièce : une des dames de compagnie de la reine défaillit, un des conseillers se mit à régurgiter ce qui semblait être les restes d'un copieux petit déjeuner. Louise saisit le visage de Rodrick et l'obligea à la regarder, elle et rien d'autre. Le jeune homme semblait perdu. Il était blême. Il regardait sa femme mais ne la voyait pas. Lorsqu'il voulait vérifier que ce qu'il avait vu était réel, elle le ramenait à elle. Tout le monde avait détourné le regard de cette immondice, ne pouvant supporter cette vision davantage. Le silence se fit encore plus pesant qu'auparavant. Richard décrocha le morceau de papier qui était cloué sur le front de la caisse et regarda Louise, ne sachant que faire. Elle lui fit signe de le lire, alors il se racla la gorge, attirant ainsi l'attention de l'assemblée, et lut le plus calmement possible les mots suivant : « Votre roi n'est plus et votre prince ne saurait être plus longtemps. Inutile de me remercier pour ce présent, me délecter de l'effet qu'il a eu sur vous me suffit amplement, et c'est avec un réel plaisir que je vous le transmets. Mes plus sincères salutations. Gontran de Rosélia »

Rodrick se retourna et arracha violemment le papier des mains de son ami pour le froisser. Sans plus de cérémonie, il sortit de la pièce, emportant avec lui le papier encore fermement serré entre ses doigts. Une fois ce dernier hors de vue, tous les regards se reportèrent sur Louise qui, tout aussi perdue, lança un dernier regard vers son ami avant de s'en aller à son tour. Elle bouscula les courtisans pour se frayer un chemin. Lorsqu'elle déboucha sur le palier, vide, elle constata que Rodrick avait tout simplement disparu. Elle s'arrêta. Dans ce genre de situation, elle savait où elle serait allée, mais lui ? Il venait de voir la tête décapitée de son père, peut-être était-il dans ses appartements ? Aussi fit-elle le tour du palier et entra dans les quartiers du Roi. Rien, personne. Elle fit demi-tour, entra dans la salle du trône. Là non plus, il n'y était pas. Elle se dirigea vers leurs appartements et ouvrit la porte avec hésitation. Devant la cheminée se trouvait son époux, absorbé par la consomption de ce qu'il restait du mot. Elle referma doucement la porte et l'interpella tout aussi doucement. Il ne répondit rien. Elle s'approcha précautionneusement de lui. De là où elle se trouvait, elle voyait la lueur des flammes se refléter dans les beaux yeux gris remplis de tristesses du jeune homme, redevenu garçon l'espace d'un instant. L'orphelin lui adressa un regard. Elle s'approcha davantage et le prit dans ses bras, lui permettant ainsi de céder et de laisser se déverser toutes ses larmes, signe de sa profonde affliction. Ses jambes finirent par céder et sa tête se retrouva dans les genoux de son épouse, l'eau salée pénétrant le tissus de sa robe de chambre. Le voir dans cet état la déstabilisait. Un homme devait rester fort, impassible, hermétique à tout sentiment, du moins c'est ainsi qu'on le dépeignait dans la société et dans la littérature. La créature faible, c'était la femme. Elle n'était donc pas préparée à affronter ce genre de situation. Cela étant, elle essuya une larme qui s'était échappée et, pour réconforter celui qui se trouvait à ses pieds, elle s'agenouilla, lui déposa la tête sur ses genoux, et se mit à lui caresser tendrement la tête.

Sang bleu: Amours dans l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant