En retard

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Qui pouvait-bien lui envoyer ce mot ? Etait-ce une farce ? Lui était-il véritablement destiné ? Une foule de questions trottaient dans sa tête. Considérant l'heure tardive, elle décida de ranger le papier au fond de son sac pour l'étudier plus attentivement après les cours. Puis elle courut à perdre haleine jusqu'au lycée .

Ouf ! Il était tant ! Elle se faufila de justesse derrière les imposantes grilles du bahut ,qui étaient sur le point de se refermer, et se précipita à son casier pour prendre en vitesse ses affaires pour les prochains cours.

"Hey, on est en retard miss ténébreuse ? fit une voix moqueuse. Ça ne te ressemble pas!

"Miss ténébreuse" -qui, en passant, détestait les surnoms idiots que Nicolas lui attribuait- fit volte-face au comble de l'exaspération :

"On est pas potes ok ! Arrête de me donner des surnoms débiles "Mister Ducon"! Rectification: arrête de me parler tout court !

- Oh du calme ! Pas la peine de s'énerver ! "

S'en était trop ! Comment OSAIT-il prendre cet air détendu et flegmatique après ce qu'il s'était passé ! Une fille venait de se faire tabasser par SA bande, et, non-content de ne pas avoir levé le petit doigt pour l'aider, il abordait un air détaché, comme si il ne s'était rien passé, comme si il était NORMAL et  HABITUEL de faire une telle chose ! Un puissant sentiment de répulsion l'envahit. Elle ne savait pas que lui faire pour lui transmettre toute la colère et le dégout qu'il lui inspirait sous ses aires de camarade compréhensif, pacifique et sympathique. Elle avait envie de le gifler ou de le rouer de coups. Apparemment, son visage trahissait ses sentiments car Nicolas recula,l'air légèrement apeuré :

"Ouoh ! Qu'est-ce que j'ai fait ? "

Puis il ajouta, tentant l'humour:

" OK, promis je ne te donnerai plus de surnoms !"

Là, Anastasia explosa :

"Qu'est-ce que tu as fait ? comment ça qu'est-ce que tu as fait !!! tu te moques de moi  !
tu as laissé ta bande massacrer lilas sans bouger le petit doigt , tu fais ton gentil garçon, tu parles comme si il ne c'était rien passé et tu me demandes ce que tu as fait avec le ton le plus innocent du monde espèce de sale petit ...!!"

Elle avait tout dit d'une traite, sans s'arrêter et ses paroles résonnaient toujours dans le hall. Comme pour ponctuer la fin de sa tirade, la deuxième sonnerie (celle qui annonçait que quiconque se trouvait hors d'une salle de classe devait aller chercher un billet de retard -et une retenue par la même occasion-) retentit. Le visage de Nicolas s'assombrit. Ainsi donc elle avait bien assisté à la scène, ce n'était pas un effet de son imagination. Il avait honte et ne savait que répondre . Pourquoi fallait-il toujours qu'il fasse le malin ?

(Mal)heureusement, un surveillant, attiré par les cris, arriva et l'empêcha de fournir une réponse:

"Hep, vous deux ! dit-il avec une expression réjouie mal-dissimulée sur son visage. Vous savez ce qui arrive aux personnes qui ne sont pas en cours à cette heure là ? (Son sourire s'élargit), Heure de retenue tous les soirs de la semaine , de 18 à 19 heures !( Il ajouta, remarquant leurs mines révoltées et inquisitrices)Bah oui, ça vous fait 4 heures de retenue pour "dérangement du calme ambiant" et 1 heure pour le retard ! Passez-moi vos carnets et filez! "

ils sortirent leurs carnets en grommelant et le surveillant, au comble de l'exaltation,  y inscrivit avec zèle le mot signalant leurs retenues.

Un fois cet abominable personnage partit, Anastasia et Nicolas se dépêchèrent de monter en cours tout en pestant l'un contre l'autre :

" Tu pouvais pas me laisser tranquille pour une fois ! Visiblement c'était pas dans tes capacités ! Maintenant on est collés toute la semaine ! Ensemble en plus ! s'exaspéra la jeune fille . 

- Hé ! Je te rappelle que c'est toi qui a hurlé dans le hall ! Si tu savais baisser ton volume sonore ça ne serait pas arrivé, donc arrête de te plaindre ! riposta Nicolas.

N'en pouvant plus, elle changea d'escalier . Ce garçon avait le don de l'agacer au plus haut point !

Elle était aux bords des larmes. Non pas à cause de s'être fait réprimander et sanctionné par un pion particulièrement hargneux -elle préférait terminer à 19 heures toute l'année plutôt que cette semaine, mais parce qu'après demain, son père était censé venir la voir à  l'orphelinat de 18 à 19 heures et il était impossible de décaler les horaires. En effet, c'était un homme d'affaires qui travaillait aux quatre coins du monde et il ne venait presque jamais voir sa fille (elle ne l'avait vu que six fois ). Bien sûr, l'orphelinat et Anastasia organisaient des rendez-vous fréquents mais il n'y venait généralement pas et trouvait des excuses pour se défiler. Ceci engendrait ensuite de grosses crises de larmes chez la jeune fille qui s'efforçait de se justifier ses absences répétées. Mais maintenant, elle avait appris à ne plus rien attendre de lui, ce père lâche qui l'avait abandonné à l'orphelinat pour ses 9 ans. Si elle avait demandé à le voir après-demain , c'était pour qu'il lui parle de sa mère, morte lors de son année de CP. Elle voulait savoir ce qu'il s'était réellement passé . Et cette fois, l'adolescente était sûre qu'il viendrait . Elle avait un trouvé un moyen en béton !

Des larmes perlèrent sur ses joues et un sourire vengeur s'afficha sur ses lèvres .
Cela lui rappelait un jour d'automne il y a 7 ans, où elle avait failli tuer quelqu'un. Son sourire se transforma en grimace . Non, la voix avait raison, elle n'était pas une tueuse ...

La Rose NoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant