Prologue

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  Il fait nuit et ce n'est pas nouveau.
Il fait toujours nuit quand je suis dans cet état-là. Je ne sais pas où je suis. Certainement quelque part, perdu. C'est très étrange comme endroit; ça suinte l'humidité mais tout est sec. Il n'a pas de lumière, seules quelques braises dans le coin de la cabane — je suppose, vu que c'est fait de bois— diffusent une faible chaleur et quelques étincelles lumineuses. Tout pousse à croire que je suis au beau milieu d'un sauna, en pleine nuit d'hiver. Un sauna éteint et récemment utilisé vu toute la fumée rassemblée en haut. Ou est-ce ce que je fume qui fait cela ? Oui. Peut-être. Sûrement.

Je dois être chez moi, dans le jardin, ou dans la cave peut-être ? Mais ai-je vraiment un abri ? Une famille ? Ou est-ce que je me réfugie le soir quelque part dans ce monde pour ne pas crever de froid. Je n'ai aucun souvenir, plus rien, je ne me rappelle ni de mon nom, ni de mon âge, encore moins de ce à quoi je ressemble. Je sais juste que ce soir j'en ai trop pris et que demain j'en souffrirai à mort.
Je dois être jeune, sûrement, avec de la thune en poches, beaucoup de thune vu toute la merde que je consomme. D'ailleurs, le seul souvenir qui me revient est celui de mon dealer. Je l'ai vu, il y a une heure, ou deux, ou dix. C'est la dernière personne que j'ai croisé, du moins, c'est ce que je pense.

Je lui en veux parfois, c'est de sa faute si je me retrouve dans cet état chaque soir. Mais qu'ai-je fait pour changer ça, même ? Rien. Que dalle. Pas le moindre petit effort. Je me réveille avec la tête dans le cul, je bosse, je rentre crevé et rebelote. Ça a toujours été comme ça et ça le restera. S'il n'y a pas de volonté, alors il n'y aura de changements.

    J'aime ma vie ainsi, planer et rêvasser, découvrir l'étendue de mes sens, de nouveaux ressentis, l'euphorie et la mollesse. Tout a soudain un autre sens, un sens plus drôle ou plus morose, tout dépend de ...tout.

   Un monde de sensations s'ouvre à moi chaque soir, comment pourrais-je repousser une telle tentation ? Et qui diable suis-je pour le faire ?

    Le monde est bien trop chiant pour moi, trop stupide pour que j'y accorde vraiment d'attention. Je suis ce qu'on qualifie de prétentieux, égocentrique, fermé d'esprit. Mais est-ce vraiment ma faute si le monde autour de moi est idiot et dénué de tout intérêt ? Si on ne me comprend pas ? Qu'on ne voit pas ce que j'essaye de faire ? Ce n'est pas en suivant la route tracée par les normes de la société qu'on le saura. Autant le laisser foirer, pensent-ils tous quand ils n'ont pas pitié de moi, inutile que je suis, je ne les mènerai à rien. Ils ne savent pas ce qu'ils ratent, les yeux fermés et les esprits soumis, vivant leur vie monotone, tous dans un même moule jugeant celui qui n'en fait pas partie. Piètre monde, piètre société.

Je n'ai jamais essayé de m'intégrer, quand on y pense ; j'ai toujours été ainsi, vivant tout simplement ma misérable vie à ma façon, sans jamais me préoccuper de l'avis d'autrui. Je ne le regrette pas, cela à fait de moi ce que je suis, certes, mais au moins, je n'ai personne à blâmer et j'en assume toute la responsabilité.

Il ne reste dans le sac qu'un unique petit sachet, un sachet qui contenait une seule et unique pilule, noire, aussi noire que ma vie, aussi noire que ce monde. Il avait dit qu'elle était puissante, que j'allais être le premier à tester. Était-elle nuisible, au point de vouloir l'essayer sur un gamin qui n'avait pas payé un sou pour l'avoir ? Oui. Peut-être. Sûrement.

Elle a un goût fort, fond dans la bouche comme un cachet effervescent. C'est drôle l'effet que ça a ; ça détend, ça calme et ça m'empêche de bouger.

    J'ai la forte impression de nager en plein trou noir, un horrible mal de crâne et une incroyable lassitude qui m'empêche de prendre le seul objet électronique à l'autre bout du banc. Je ne respire plus, l'air ne me suffit plus, j'étouffe et je n'ai même pas la force de bouger.

Une minute, je suis immobile. Deux minutes, j'étouffe. Trois, il n'y a plus rien.

Je me vois allongé, figé, les yeux grands ouverts et les mains autour du cou, essayant de desserrer une corde inexistante, invisible.
Une force m'attire et je me soumets contre mon gré. Suis-je mort? Oui. Peut-être. Sûrement.

ERRETOù les histoires vivent. Découvrez maintenant