Un moment

Samedi, 14h15

Elle me regarde fixement, la bouche entre ouverte. Maria, une amie de longue date, ne sait quoi dire à ce que je viens de lui révéler.Elle reste plantée au beau milieu du rayon surgelé, agrippant de force son cadi. Je la défie alors du regard pour qu'elle rompe cet insupportable silence. Maria jette un coup œil derrière, réalise que nous sommes seules, puis dit :

- Comment peux-tu croire une chose pareille ?

- Je ne sais pas, j'ai vraiment l'impression que c'est lui, je le sens, insisté-je.

- Ma petite, pourquoi tu ne peux pas croire autre chose ? Pourquoi ne croirais-tu pas à un simple admirateur secret ?

- C'est impossible.

- Pourquoi pas ton voisin, il est très sympathique, lâche-t-elle.

- C'est absurde.

- Ecoute-moi, cela va maintenant faire quatre ans que Gabriel est parti et il faut que tu réalises que c'est impossible qu'il revienne un jour, explique-t-elle calmement.

- Pourquoi cela ? Pourquoi tu ne veux pas me laisser espérer ? demandé-je.

- Parce que cela va finir par te rendre malade et je ne supporterais pas de te voir dans cet état.

- Mais tu as bien lu la lettre, c'est écrit noir sur blanc, je suis sûre que c'est lui.

- Anastasia, je t'adore mais Gabriel est parti à la guerre il y a quatre longues années sans donner aucune nouvelle, dit-elle. Désolée de te l'annoncer comme ça mais il faut que tu comprennes qu'il est probablement mort maintenant, quatre ans c'est anormalement long.

- Comment... comment oses-tu ? crié-je au bord des larmes.

- C'est impossible que ce soit lui qui t'ait écrit ce poème. Pourquoi écrire un ridicule poème alors qu'il aurait tout simplement pu venir te voir et te serrer dans ses bras ?

- Je...

- Tu as arrêté de vivre Anastasia, je déteste te voir si mal pour quelqu'un qui n'est probablement plus de ce monde, me dit-elle me poignardant violemment de mots attristants.

Si je reste ici à l'écouter parler, je vais bien finir par la croire.Je ne sais pas comment prendre la nouvelle. Peut-être que j'ai attendu si longtemps pour rien. Peut-être que l'espoir n'est pas une très bonne chose pour moi. Il ne fait que me rendre plus faible.Peut-être que Maria a raison. Mais je ne peux plus rester ici les bras croisés à attendre un signe de Dieu pour me montrer la voie,pour me montrer ma destinée, pour me montrer où tu es, il faut que j'agisse. J'ai besoin de faire des recherches. J'ai besoin de trouver des réponses à mes questions. J'ai besoin de savoir si tu existes encore ou si tu n'es plus qu'un simple souvenir qui s'effacera au fil des années.