Acte I, scène 3

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Auriane, Agnès, Marguerite, Madeleine, Cécile, Catherine, Jeanne, Eugène, Antoine, des gentilshommes

La scène représente un salon.

MARGUERITE - Mes chères amies ! Entrez, entrez ! Qu'on apporte des sièges ! (à Auriane et Agnès) J'ai là quelques messieurs dont vous me direz des nouvelles !

AURIANE - Comme toujours ! Tu attires tout ce qu'il y a de plus beau Marguerite !

MARGUERITE - Mais ce sont tes paroles qui touchent tout le monde Auriane !

Les deux jeunes femmes se joignent à l'assemblée.

MARGUERITE - Je n'y tiens plus, il faut que vous me disiez ce que vous pensez de la querelle des Anciens et des Modernes ! Charles Perrault vient de publier Parallèle des Anciens et des Modernes. Je n'ai malheureusement pas eu le temps de me le procurer pour l'instant mais je veux absolument connaître votre avis.

AURIANE - A vrai dire... je ne sais que penser. Chaque parti a ses arguments et ses raisons de croire en un idéal précis. Maintenant, je ne sais s'il est prudent de s'aventurer dans un débat sur ce sujet, c'est assez polémique.

MARGUERITE - Justement ! C'est à nous, les intellectuels, de discuter pour trouver quelle est la meilleure ligne de conduite à suivre !

AURIANE - Dans ce cas, il peut être utile de rappeler les objectifs de chaque groupe. Tout d'abord, les Anciens pensent qu'il faut imiter les prédécesseurs car ils ont atteint la perfection dans leur art. En effet, leurs œuvres servent encore de référence aujourd'hui, bien longtemps après, c'est donc que ce sont des écrits parfaits. De leur côté, les Modernes croient, au contraire, qu'il faut innover et créer en fonction de l'esprit de l'époque afin d'obtenir l'intérêt des lecteurs. Rappelez-vous, l'année dernière, Perrault disait :

« Platon, qui fut divin du temps de nos aïeux,

Commence à devenir quelquefois ennuyeux ».

La question qui se pose à présent est donc la suivante : Faut-il tenter de ressembler au maximum aux écrivains de l'Antiquité pour marquer son époque comme eux ont marqué la leur ? Ou faut-il au contraire simplifier les règles qui codifient la littérature pour laisser libre cours à l'imagination et aux émotions ?

CÉCILE - Merci beaucoup d'avoir clarifié cela Auriane. Je vous avoue que j'étais jusqu'alors perdue entre les différents arguments.

JEANNE - Personnellement, je suis plutôt de l'avis des Anciens. Des écrivains dont la notoriété a traversé les siècles doivent forcément être pris en modèle.

AGNÈS - Certes, ce sont de grands génies. Mais je ne pense pas que l'imitation soit la meilleure solution. Imiter, ce n'est pas créer. Les écrivains de notre temps devraient écrire selon leurs envies et avec leur style propre.

ANTOINE - Oui, je suis du même avis. Se donner trop de contraintes est une entrave à la création. L'écriture est le langage du cœur. Il faut laisser les émotions guider la plume, et non les règles.

AURIANE - Je suis tout à fait d'accord. Les règles permettent sans doute de garder dans les écrits une certaine vraisemblance mais il ne faut pas les laisser devenir un carcan d'où l'imagination ne peut plus s'échapper.

JEANNE - Tout cela est fort intéressant mais, je voudrais sortir, si vous le voulez bien, de la littérature et intéresser cette assemblée à Monsieur André de Nemours. Il était hier au théâtre, mais avec une jeune femme que je n'avais jamais vue avant. Mon mari m'a dit que c'était une courtisane qui venait d'arriver et visiblement, ils semblaient très proches.

Auriane et Cécile baissent les yeux durant l'entretien qui suit.

CATHERINE - Oui, il me semble même avoir entendu dire qu'ils étaient amants.

EUGÈNE - A ce sujet, il faut que je vous dise, mesdames, une histoire qui m'a été racontée comme je venais chez vous, et qui risque fort de vous intéresser. Je ne dirais pas qui m'en a mis au courant mais voici le récit que l'on m'a fait. Cet après midi, Monsieur de Nemours se promenait dans un parc avec sa nouvelle amante. Ils s'amusaient ensemble et semblaient très bien s'entendre. Le rouge est alors monté aux joues de la petite demoiselle et, sûr de son succès, Monsieur a tenté de l'embrasser mais, ...

CÉCILE - Mais quoi ?

EUGÈNE - Elle l'a souffleté. (Murmure de surprise dans l'assemblée) Puis elle l'a traité de goujat et s'en est allée en déclarant qu'elle ne voulait le revoir de sa vie.

CATHERINE - Bien fait ! La gente féminine a bien trop longtemps été asservie par ce de Nemours.

AGNÈS - Ça lui apprendra.

MARGUERITE - Voilà encore une histoire qui va faire le tour de la Cour.

MADELEINE - Je ne sais pas si une femme osera encore l'approcher.

JEANNE - Oui, sa réputation va être détruite.

Auriane relève la tête et sort de son silence pour changer de sujet.

AURIANE - Madame de la Boissière, ne voulez-vous pas nous jouer cet air que vous m'avez promis ?

MARGUERITE - Oh oui ! Une chanson !

Agnès se met au clavecin et est accompagnée par des violons sur un air de Lully. Applaudissements.

L'espoir fait vivre [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant