Prologue

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FRANKFORT,KENTUCKY, USA

23 heures : heure locale

Une quarantenaire à la chevelure blonde venait d'entrouvrir la porte de la résidence où elle effectuait les tâches nocturnes. De la simple surveillance des parties communes à l'aide des résidents, tout s'avéraient assez simple, deux années qu'elle passait la nuit assise à se morfondre, à faire semblant de remplir les grilles d'un Sudoku, et à rêvasser. Elle aimait prendre son temps, réfléchir loin de l'agitation du monde ; à qui elle vouait une haine maladive. Elle n'allait pas bien, elle était malade. Elle griffonna quelques pensées qui lui obstruaient le cerveau, c'était ce que lui avait conseillé sa psychologue.Inscrire sa peine sur du papier pour mieux l'effacer, lui avait conseillé madame Jones. Madame 200 $ de l'heure. Celle qui l'avait obligé à prendre ce boulot pour cacher ses consultations à son humble mari.

Mais ce soir là, la situation routinière fût chamboulée.

Derrière la vitre une activité inhabituelle se produisait. On apercevrait les phares d'une voiture qui se garait sur le parking. Puis un crissement de pneu surgit dans la nuit. La berline s'immobilisa. C'est à cet instant qu'elle le vit.L'enseigne clignotante d'un entrepôt de meuble éclairait le visage de l'homme concernait. Sa silhouette se matérialisa derrière le carreau. A peine le cercle de buée formé que l'ombre avait déjà disparue. Elle referma d'un geste brusque la vieille porte vitrée avant de prendre place au comptoir.

Un frisson parcourue l'échine de l'hôtesse, alors qu'elle décrochait le combiné, la porte grinça, un courant d'air froid traversa le patio. Un homme correspondant à la corpulence de l'ombre fit son apparition. Son visage avide de toute humanité avança progressivement vers elle.Elle reconnaissait ce regard entre mille. Des années qu'elle n'y avait pas plongé. Et elle s'en était réjouie.

Puis il prit enfin la peine de parler, mais le ton inexpressif que créait ses cordes vocales ne fit qu'envenimer la situation. La femme resta le fixer.Dans un silence de plomb. Elle ne pouvait pas lui parler, comment l'aborder ? Ça elle ne l'avait jamais su.
Les lèvres de l'homme s'entrouvrirent enfin, comme si elles avaient été soudées pour l'éternité. Ses lèvres gercées donnèrent enfin signe de vie après des années de silence

- Bonsoir, est-ce-que Mary est ici, demanda-t-il dans le plus avide des silences.

Il ne venait pas pour elle.La blessure se rouvrit. Vive. Non il ne pouvait pas l'ignorer, venir pour une autre. Ses yeux lui suppliaient de lui adresser un mot, un sourire, une récompense d'ordre humaine. Un geste simple. Elle l'avait tellement espéré.

- Qui dois-je annoncer? Accueilli l'hôtesse les larmes aux yeux.

- Dites lui que je suis arrivé, cela suffira.

Dites lui, il la vouvoyait, ce n'était pas possible. Pas venant de lui. Prise au dépourvu, elle s'apprêtait à lui demander des explications. Puis elle se rappela de ce qu'il était, de ce qu'il avait été. Elle oublia cette idée. Trop risqué.

- Très bien un instant je vous pris.

La gardienne s'absenta quelques secondes avant de réapparaître plus détendue.

- Vous pouvez y aller, lui autorisa-t-elle sèchement.

- Merci, bonne soirée Jenny.

Jenny, son prénom sonnait comme une malédiction. Il en avait articulé chaque lettres.Il résonnait dans le couloir. Tranchant. Il ne l'avait pas oublié,au contraire. C'était un soulagement et une pure douleur.

L'ombre disparue dans le couloir sans un mot. Froide. Glaciale. Comme il l'avait toujours été depuis ce fameux jour.
Elle reprit sa tasse de thé. Froide aussi. Comme la nuit, comme la vie. Et tout en respirant bruyamment, elle continua sa routine habituelle.

Depuis plusieurs mois rien n'allait plus, les résidents se ruaient sur elles. Certains ne trouvaient plus leur courrier, d'autres le trouvaient mais ouvert,certains se plaignaient du débit d'eau, de portes ouvertes. Et elle devait prendre sur elle, encaisser les insultes comme elle l'avait fait ses dernières années. Elle savait que sa vie était sans relief, vide, ennuyante, déprimante depuis qu'elle avait découvert le secret. Elle espérait que dans quelques années elle trouverait le bonheur, enfin elle tendait à y croire. Depuis son plus jeune âge elle se bornait à croire à ces milliards de citations. "Le bonheur arrive dans les moments les plus inattendus " écrite par un homme fripé profondément triste et seul.

Seulement elle ignorait qu'il ne lui restait que dix minutes pour trouver le bonheur.

Avant qu'il ne sorte ce couteau.

Dix minutes avant que la police ne débarque.

Dix minutes avant que l'horloge marque son arrêt de mort.

Dix minutes.

600 secondes à humer le doux oxygène de cette ville amère.

Et le projet aurait opéré.



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