Chapitre 2 : Entre le Jour et la Nuit

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Je me fonds dans l'obscurité oppressante.

Mes pas se transforment en un écho agaçant, éloignant les murmures et les chuchotements qui se jettent devant moi. Des petits yeux me fixent, des lèvres s'excitent, des dents jaunes s'entrechoquent en formant des mots acides, des rires me couvrent et des rumeurs m'étouffent. Une aura malveillante plane dans les couloirs, collante et indestructible, surgissant des fissures de ce palais bien trop vieux, bien trop pâle face au soir qui tombe. Un air frais me traverse alors que je glisse et que je me perds, sourde et aveugle, une lourde barrière de glace recouvrant mon cœur. Et ma peau frisonne, ma peau sursaute.

Un homme à une barbe trop longue me fixe en un silence lourd de sous-entendus.

Il est là, il reste là, ne cligne pas des yeux et ne respire plus, ignore une servante qui le traverse naïvement, aveugle, elle aussi. Une grimace flotte sur ses lèvres, ses sourcils restent froncés et il semble déterminé de maintenir sa posture de pierre et ce regard sévère qui m'exaspère. La statue m'ennuie, la statue m'insupporte pourtant je reste là, et je le défie impunément.

Une jolie brune se penche devant moi, un peu, légèrement et me fixe en se redressant rapidement. Ses joues sont rouges, ses pupilles brillent mais une animosité étrange et pourtant compréhensible se devinent dans sa posture. Elle attend, avec une patience flemmarde, et ne camoufle plus les pensées qui valsent derrière sa tête.

- Je ne désire voir personne ; faites savoir à mes femmes de chambre que je ferai ma toilette toute seule, ce soir, claque ma voix sèche dans la semi-pénombre.

Au loin, une bougie s'agite, menace de s'effondrer.

Un rire déguisé en sourire se glisse et éclate, une main se dépêche de le couvrir tandis que derrière l'épais rideau noir me scrute une lueur moqueuse. Je sais ce qu'elle pense, je le vois, bien trop clairement, mais je suis trop fatiguée, trop lasse ou encore, trop habituée à ce traitement pour ne pas y faire attention. Alors, le nez levé, le menton fier et un vague geste de la main la renvoyant, je me glisse dans ma chambre, soupire, et me jette dans mes draps glacés. Mes bras entourent mes oreillers, caressent le satin, et ma peau regrette, déjà, mon départ anticipé. Le manque se fait sentir, il se loge confortablement dans une partie saignante de mon cœur et me titille, s'amuse à installer le doute et la profonde lassitude qui l'accompagne.

Une présence se fait sentir, soudain, cachée dans mon dos.

Un regard me fixe, me brûle et me coupe, me torture l'esprit avec un amusement malsain. La statue de pierre est là, encore, toujours aussi stoïque et morte, elle ne bouge pas. Le fantôme me juge en silence, me fait sentir ses pensées et tous les cris qu'il retient, toute l'exaspération que je soulève dans son esprit. Il est profondément agacé par ma décision, par mes choix, par ce que je m'apprête à faire sans la moindre culpabilité, par l'affront que je fais et qui salit le nom de ma mère.

Ses reproches me giflent.

Mais ils ne suffisent pas à me faire changer d'avis.

Je suis sûre. Je suis certaine. Je sais ce que je veux et aucune cage ne saurait me retenir. Ma lassitude a atteint ses limites et je ne peux plus accepter, qu'on m'enferme, accepter, qu'on m'utilise, accepter qu'on m'enlève la voix et la volonté pour me transformer en un animal de compagnie. Mon don n'appartient pas à la Reine, ni au Royaume, ni même à un quelconque Dieu inconnu. Mon don m'appartient, à moi et à moi seule et je ne vois, vraiment pas, où est le mal de vouloir l'utiliser.

Sauve-moi, mon coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant