Chapitre 6

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Le tic-tac de la pendule du couloir résonnait dans la pièce de manière presque hypnotique. Le soleil déclinait à travers les carreaux, baignant la table du petit-déjeuner d'une douce lueur orangée. L'après-midi touchait à sa fin, les ombres gagnaient du terrain, et dans peu de temps, il leur faudrait se calfeutrer à l'intérieur de la maison, sous la lumière crue des plafonniers. Nulles ténèbres ne devraient subsister. Pour l'heure, deux paires d'yeux écarquillés dévisageaient James Adcock à l'autre extrémité de l'îlot central autour duquel le trio s'était installé.

— Qu'est-ce que ça veut dire ?

La voix de Cody exprimait une réelle curiosité, comme si le médecin lui avait annoncé qu'il allait se faire de nouveaux copains, étrangement affublés du même prénom que lui. Il haussait l'un de ses petits sourcils d'un air comique, sans comprendre ce que James Adcock sous-entendait. Les deux adultes échangèrent un regard entendu au-dessus des reliefs de leur repas abandonné, puis le professeur reprit avec davantage d'assurance, sans doute résigné à s'exposer à l'incrédulité.

— Tu as fait la connaissance d'Eléonore au centre, n'est-ce pas ? Ma femme était comme toi, Cody, elle était non seulement une enfant de la lune, atteinte de xeroderma pigmentosum, mais elle... elle voyait les couleurs. Tu es un gamin intelligent, et je suis bien persuadé que tu as compris depuis longtemps ce que représentent ces couleurs que tu vois s'élever au-dessus de nos têtes, pas vrai ?

Cody hocha la tête sans marquer la moindre hésitation.

— C'est la vie...

— Tout à fait, bonhomme, c'est la vie. Et plus le temps passe, plus les gens vieillissent, plus les couleurs s'estompent, jusqu'à disparaître complètement. Ce n'est généralement pas très bon signe pour la personne en question, n'est-ce pas ?

Adcock jeta un coup d'œil rapide du côté de Manille, peut-être pour s'assurer qu'elle n'était pas en train de lever les yeux au ciel, ou de manifester sa perplexité d'une toute autre manière. Mais ce n'était pas le cas, bien au contraire. La jeune femme était à la fois attendrie par la relation affectueuse qu'elle devinait entre l'homme et l'enfant, et fascinée par ce qu'ils racontaient. Cody hocha de nouveau la tête, et sourit tristement, cette fois.

— Les gens meurent quand les couleurs s'éteignent.

— En effet, c'est ce qui se passe, la plupart du temps. Ce qui se passait, du moins, avant cet été et la cérémonie de Lugnasad à laquelle ont assisté Lucent, Colin Forbes et tous les autres. Seulement maintenant, nous devons composer avec les ombres et leur chant... Et que se passe-t-il alors ?

Manille fronça les sourcils, son regard alternant de l'un à l'autre, et son visage s'assombrit. Cody pencha la tête de côté, puis répondit enfin à contrecœur et d'un air lugubre.

— Les gens... Ils se transforment en ombres.

— C'est ça. Si une personne atteinte de la maladie décède brusquement, tuée sur le coup à cause de la foudre, ses couleurs s'éteignent, certes, mais elle ne meurt pas vraiment. Elle se transforme en ombre, et dès lors, elle contamine toutes les personnes dont elle croise la route. Ces dernières en contaminent de nouvelles, et ainsi de suite... Mais toi, Cody, elles refusent de t'approcher, n'est-ce pas ?

L'enfant hocha la tête, et Manille intervint alors.

— En réalité, c'est très étrange... On dirait qu'il les attire comme un aimant. Je suis sûre qu'elles seraient prêtes à le suivre à l'autre bout du monde. Si nous patientions suffisamment longtemps, nous verrions sans doute rappliquer celles qu'on a laissées derrière nous au centre. Mais dès qu'elles se trouvent à moins d'un mètre de lui, elles reculent prudemment comme si elles craignaient de se brûler à son contact.

Le Chant des Ombres (2016)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant