Chapitre 5

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Cody avait parlé d'une maison de campagne. Lorsque Manille arrêta la voiture, au petit matin, dans l'allée gravillonnée qui permettait d'y accéder, elle resta immobile de longues minutes derrière le volant, à regarder l'imposante bâtisse qui s'élevait devant eux. Elle s'était imaginé une petite maison d'aspect rustique, refuge soigneusement préservé d'un célèbre professeur cherchant à échapper, le temps du week-end, à une vie pour le moins agitée. En réalité, la demeure des Adcock tenait plus du manoir que de la modeste maison de campagne.

En pierres apparentes, la façade s'élevait sur deux étages jusqu'à un toit étonnamment pointu et couvert d'ardoises encore luisantes de pluie. Les phares de la berline éclairaient de vastes baies vitrées à travers lesquelles la jeune femme devinait un intérieur cosy qui, après les longues heures de route qu'elle venait d'avaler, lui faisait terriblement envie. La maison se dressait fièrement au cœur de la lande, à l'extrémité de la presqu'île. Lorsque Manille ouvrit sa portière, une bouffée d'air iodé s'engouffra à l'intérieur. Elle prit le temps d'inspirer longuement cette fragrance qu'elle adorait avant de secouer doucement Cody.

- On est arrivé, bonhomme, réveille-toi.

L'enfant gémit doucement, et enfouit son visage dans le revêtement du siège. Manille observa la maison et ses environs immédiats. En arrière plan, elle devinait la présence de la mer, dont elle percevait d'ailleurs le doux chuchotement. Le jour se levait, et elle avait beau scruter le moindre recoin, la menace semblait avoir reculé, pour quelques heures au moins. Elle en fut immensément soulagée. Elle décida de laisser à Cody quelques minutes supplémentaires pour se réveiller. Après tout, l'endroit était tellement paumé qu'en plein jour, il ne risquait pas grand-chose. Elle prit cependant soin d'emporter les clefs de contact, et quitta l'habitacle en refermant doucement derrière elle.

En chemin, elle avait eu l'occasion de constater que les ombres se multipliaient à grande vitesse. A chaque fois qu'ils s'arrêtaient dans une station service pour faire le plein ou accéder aux toilettes, la menace se faisait plus précise, plus proche. Cody la protégeait de l'obscurité, mais malgré toutes leurs précautions, il s'affaiblissait d'heure en heure. Les rares villes qu'ils avaient traversées étaient comme désertées de toute vie, les survivants équipés de générateurs électriques s'étant terrés chez eux dès la nuit tombée. En une nuit, l'humanité semblait avoir été décimée.

Manille s'étira comme un chat à la sortie d'une sieste et fit quelques pas chancelant autour du véhicule. Elle avait l'impression d'être montée sur échasses, ou encore de s'être transformée en pantin de bois comme la marionnette Pinocchio. Mais l'air frais lui faisait un bien fou, et elle sentit la fatigue qui pesait sur ses épaules s'alléger un petit peu. En longeant le côté conducteur, elle jeta un coup d'œil à Cody qui dormait toujours, aussi immobile qu'une statue. Elle l'abandonna à son sommeil de plomb pour s'approcher de la maison. En dehors de la rumeur portée par la mer et les oiseaux marins qui s'éveillaient, il n'y avait pas un bruit. A travers les baies vitrées, aucun mouvement n'indiquait que la demeure fut occupée. Manille prit une grande inspiration pour se donner du courage, et se dirigea vers le porche.

Résolue, elle appuya sur le bouton de la sonnette, dont le son étouffé retentit faiblement de l'autre côté de la porte. Puis elle attendit. Il était tôt, et elle avait conscience d'être très probablement en train de réveiller toute la maisonnée, mais comme le disait un adage bien connu : aux grands maux, les grands remèdes ! Elle était sur le point d'écraser à nouveau la sonnette sous son doigt impatient, lorsqu'elle perçut du mouvement derrière la porte. L'instant suivant, la clef tourna dans la serrure, et les traits tirés d'un homme encore jeune apparurent dans l'encadrement. A quelque chose près, il devait être en milieu de quarantaine, brun, les cheveux en bataille, des yeux d'un bleu exceptionnel et une barbe de trois jours.

Le Chant des Ombres (2016)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant