La solution d'Ophélie

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   Pierre sortit de la salle en trombe. Il ne voulait plus rester ici. Il allait emprunter le passage secret, caché dans les jardins du roi, qui menait directement à la tour Disparue, le lieu de la mort de la comtesse Boidecœur, la femme du premier Élitien.

   Il ne faisait pas attention à la foule, bousculait des gens qui n'osaient pas répliquer, au vu de son air blessé et de sa carrure. À part une personne. Sa mère, le voyant dans cet état, courut vers lui, le rattrapa et l'emmena derrière une haie, à l'abri des regards et des oreilles. Il se laissa faire.

   Dès que Mme Chapelier trouva un banc, il s'y laissa tomber. Lourdement. Il prit sa tête dans ses mains. Sa mère vint tout contre lui, le berça comme quand il était un petit garçon. Il cacha sa tête dans l'épaule de la jeune femme, mais ne pleura pas.

  - Que se passe-t-il, mon pauvre bébé ? lui demanda-t-elle doucement.

  - J'ai demandé une danse à Juliette d'Argent. Elle a accepté. Elle avait l'air heureuse. Elle a enlevé sa veste de soirée, et elle m'a entraîné sur la piste. On a dansé. On se regardait. À la fin, j'ai voulu l'embrasser. En faisant doucement.

   Pierre sentit les larmes revenir.

  - Elle m'a giflé.

   Sa mère resserra son étreinte.

  - Ne t'en fais pas, Pierre. Tu es beau, grand, fort, intelligent, et Élitien. Les filles vont toutes te vouloir.

  - Maman, il n'y a que Juliette d'Argent que je veuille. C'est elle que j'ai toujours aimée, et c'est elle que j'aimerais toujours.

  - Si elle t'a accordé une danse, c'est qu'elle doit s'intéresser à toi, mon Pierre.

  - Elle est la troisième fortune du royaume, maman. Je n'ai rien à lui offrir, je suis pauvre.

   Mme Chapelier n'avait rien à redire à ça. Elle-même n'avait pas fait un mariage d'amour en partie pour cette raison. Alors elle serra son fils contre elle, et Pierre la serra aussi.

   Ils restèrent un moment comme ça, puis Pierre se détacha. Il dit à Mme Chapelier :

  - Je vais rester tout seul un moment, maman. Je vais dans la tour Disparue. Si Mathieu, Jurençon ou Roméo me cherchent, dis-leur que je suis rentré, que j'étais fatigué, s'il te plaît.

  - Ne t'en fais pas, mon cœur, je le leur dirai, mais uniquement si tu me promets une chose. Ne te fais pas de mal.

  - Je te le promets, maman. Merci.

   Il l'embrassa sur le front et s'éloigna en direction du passage secret. Il s'y engouffra. Commença à courir. Courir de toutes ses forces, pour oublier Juliette. Il accéléra encore et encore, parcourut en cinq minutes le chemin qu'il faisait d'ordinaire en vingt. Il se rua dans les escaliers, monta les quatre étages le plus vite qu'il le pouvait. Arrivé en haut, il trouva le lit des Boidecœur, et s'allongea dessus.

   Il laissa les larmes couler. Elle cavalaient sur ses joues avant de se perdre sur la couverture vieux jaune. Comme d'habitude, elle était tirée. Le lit n'avait pas été touché depuis quatre siècles. Le lit des amants interdits : un Helios qui avait quitté son peuple pour se marier avec une simple femme.

   Il ferma les yeux. Essaya de se les représenter. Un homme prêt à tout, à renier ses semblables, pour l'amour d'une femme qui vieillissait trois fois plus vite que lui. Une femme aimante... et, tout laissait le supposer, belle comme le jour.

   Pierre ferma les yeux et imagina le jeune maître Magimel, fou amoureux d'une jeune fille qu'il rencontra par hasard. Il décidait d'inventer son histoire, quand il sentit quelque chose lui caresser la joue.

   Espérant de tout son cœur que c'était Juliette, il ouvrit les yeux.

   Et les referma aussitôt, aveuglé.

  - Pardon, Pierre, je ne voulais pas vous surprendre... s'excusa la petite voix d'Ophélie.

  - Ce n'est pas grave, je... je ne m'attendais pas à te voir ici, répondit le garçon.

   Il profitait du fait qu'il doive se cacher les yeux pour essuyer ses larmes.

  - Je sais bien que vous ne pensiez pas à moi. Mais j'ai tout vu, tout ce qu'il s'est passé, avec Juliette.

  - Tu me surveillais ?

  - Oui, avoua la petite fée, et je vous ai vu vous réfugier ici. Mais qu'est-ce que vous courez vite ! Je n'ai pas pu vous suivre.

  - Pourquoi es-tu venue ? Tu détestes cet endroit, dit doucement Pierre à la nymphette en la prenant délicatement dans sa main.

  - Parce que je ne veux pas vous voir comme ça, malheureux, en pleurs. Alors je vous ai ramené la solution à votre problème.

  - La solution ?

   La petite fée hocha la tête et battit des ailes, illuminant toute la pièce.

   Pierre leva les yeux.

   Sur Juliette d'Argent.

L'Élitien amoureuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant