Chapitre 18.1

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Chapitre 18

Astrid mit un certain temps à comprendre que Gloria parlait très sérieusement. Elle voulait vraiment un zèbre, vivant, un sauvage qui ne provienne pas du zoo de Naples ou du Bioparc de Rome. La jeune femme n'en revenait pas. Mais elle dut se faire à l'idée et consulta les noms des hommes qui pourraient lui en fournir un, dans les petits carnets d'adresse d'Antonio.

Elle finit par tomber sur un certain Joseph Nassouf, qui vivait à Nairobi et qui organisait des safaris un peu spéciaux. En effet, il transformait la savane en supermarché, ses clients n'ayant qu'à pointer du doigt un animal rencontré dans les hautes herbes pour l'obtenir. Elle l'appela :

- Oh, mademoiselle Cavaleri...un zèbre, oui...mais je ne peux pas vous en fournir un comme ça...

- Pourquoi ? s'exclama Astrid qui sentait la colère lui monter au nez.

- Ça ne peut pas se faire sur appel téléphonique...vous devez venir au safari. Il me reste une place pour ce jeudi...je peux réserver une suite dans le plus bel hôtel...

Ravalant une envie de lui hurler dessus, Astrid grommela :

- D'accord. Mais vous avez intérêt à ne pas me faire d'autres coups fumeux.

Cette fois, Astrid réussit à convaincre Mama, Ernesto et Georgios qu'elle pouvait très bien aller au Kenya toute seule.

- C'est juste un safari. À part une charge d'éléphant ou une attaque de lions, je ne vois pas ce que je risque.

Ernesto et Mama avaient tout de suite acquiescés, seul son grand-père avait insisté :

- Nous avons des ennemis partout...regarde, nous étions tranquillement en train de mener nos affaires quand l'ancienne fiancée de Salvatore a surgi pour nous réclamer un zèbre.

- Ce n'était pas sa fiancée, avait simplement répliqué Astrid qui ne pouvait plus supporter qu'on associe Gloria à Salvatore.

Finalement, elle avait encore passé de longues heures dans un avion, seule cette fois. Joseph Nassouf eut au moins la politesse de l'accueillir en personne à l'aéroport. C'était un petit bonhomme suant avec d'épaisses lunettes qui le faisait ressembler à une taupe.

- La plus belle suite du plus bel hôtel de Nairobi...une vraie merveille. Et dès demain, mon chauffeur vous accompagnera au safari...si vous saviez comme la mort de monsieur Cavaleri m'a touchée...

Astrid grogna quelque chose qu'elle ne comprit pas elle-même et alla s'enfermer dans « la plus belle suite du plus bel hôtel » de la capitale kenyane, qu'elle n'avait même pas envie d'explorer. Elle passa l'après-midi et le début de la matinée du lendemain sur son grand lit à regarder la télévision. Elle avait la RAI Uno, la première chaîne italienne.

À dix heures du matin, le chauffeur de Joseph Nassouf vint la chercher. Ce dernier était aussi là, insistant pour tenir compagnie à Astrid lors du trajet jusqu'à la réserve naturelle.

- Vous saviez qu'au large de la Tanzanie, juste en dessous, il y a une île nommée Mafia ? C'est drôle, non ?

- Non.

Il n'ouvrit plus la bouche de tout le voyage. Enfin un peu de paix.

Le guide, et occasionnellement chasseur d'animaux, était aussi sec et maigre qu'un bout de bois. Il fit monter Astrid dans une camionnette ouverte où se trouvait déjà un couple de hollandais tellement bronzés qu'ils en paraissaient orange, sauf leurs nez, roses et pelés.

- Vous venez pour quoi, vous ? demanda la femme.

- Un zèbre, maugréa Astrid.

- Oh, c'est original. Nous, nous venons pour un petit singe vervet. Pour notre fils.

La jeune femme se fichait que ce soit pour leur fils ou leur caniche, mais elle plaignait le pauvre primate qui allait finir enfermé dans une cage, dans une maison des Pays-Bas, sous la pluie, pour amuser un gamin. Pauvre bête.

La savane apparut, avec ses hautes herbes jaunes, ses pistes poussiéreuses, ses arbres solitaires, ses mares boueuses où venaient s'abreuver des gazelles, et son horizon dentelé de montagnes, le tout dans une belle palette de jaune, d'orange et de brun. Astrid ne put cette fois s'empêcher d'être émerveillée. Elle vit des éléphants, des phacochères, des gnous, des girafes et des lionnes. Je voudrais tellement que Daniel soit là, songea-t-elle avant de fredonner intérieurement la chanson du Roi Lion.

Le guide repéra trois petits singes à la face noire. Les hollandais en pointèrent un du doigt, le plus petit. Le guide sortit une petite sarbacane et tira une fléchette sur le petit singe, qui s'écroula. Les autres poussèrent des cris affolés, mais s'éparpillèrent quand le guide leur jeta un gros caillou. Il alla ramasser le primate et l'enferma soigneusement dans une boîte en bois percée de trous. Astrid en eut le cœur serré. Une vie perdue.

Ce fut un peu plus tard qu'ils virent un troupeau de zèbres.

- Lequel voulez-vous ? demanda le guide.

- N'importe lequel.

Il visa donc le plus proche avec sa sarbacane. L'animal rayé vacilla, puis ses jambes cédèrent sous lui.

- Il n'est pas blessé ? demanda Astrid alors que le guide, aidé du hollandais, le chargeait à l'arrière de la camionnette, dans une grande cage.

- Il n'a rien du tout, assura le kenyan. Dans trois heures, il sera réveillé.

Mais il s'avéra que Joseph Nassouf avait décidé d'embêter Astrid jusqu'au bout. Il lui annonça en fin d'après-midi qu'il n'avait pas de moyens de transport pour amener le zèbre en Italie. Astrid, furieuse, chercha frénétiquement une personne ayant un bateau disponible qui pourrait faire discrètement passer l'animal à travers les frontières.

Elle n'en trouva qu'une, et ce n'était pas exactement la personne idéale.

C'était Lars Wolfgang. Astrid savait qu'il possédait deux gros bateaux. Elle tergiversa un long moment, puis, décidant de mettre son orgueil de côté, se résolut à l'appeler.

- Cavaleri, que me vaut l'honneur ? lâcha-t-il au bout de trois sonneries.

- J'ai besoin d'un service. Je dois faire transporter un zèbre du Kenya jusqu'à Naples.

- Tu m'as chassé et insulté, chérie. Je ne crois pas avoir envie de lever un seul petit doigt pour toi.

Astrid s'attendait à cette réaction et resta calme.

- Je te le demande comme à un associé. Comme Antonio te l'aurait demandé.

- Antonio est mort.

Je vais entendre cette phrase toute ma vie.

- Tu m'as fait du mal, Lars, je croyais que tu l'avais compris. Je pensais aussi que c'était derrière nous et que nous pourrions reprendre une relation...basée sur le partenariat.

- Je ne veux pas faire de partenariat avec toi, Astrid.

- Qu'est-ce que tu veux, Lars ? Que je m'excuse ? Et de quoi, exactement ?

Il y eut un long silence, et la jeune femme croyait qu'il avait raccroché quand il lâcha :

- Je viendrais chercher ton zèbre au port de Mombasa dans trois jours.


Merci et Hakuna Matata !


La Villa Gialla : Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant