Il y a trois jours, j'ai rencontré Annie. Elle n'est pas comme moi, enfin c'est ce qu'un SS nous a dit, son père était le porte drapeau français. A leur arrivée, il avait été directement conduit dans l'autre convoi. Depuis Annie et moi on ne se quittait pas. C'était tellement rare d'avoir une amie dans le camp, à cause de la surcharge de travail. La première fois que je l'ai vu, j'ai cru que c'était un ange perdu dans l'enfer. L'enfer qui punit les hommes à cause de leur nature. Annie était plutôt belle comme fille, elle ressemblait à ma cousine qui était morte un an plus tôt. Ses grands yeux noisette lui donnaient un air presque enfantin, et ses cheveux toujours tressés semblaient lui ôter deux ans. Son visage en cœur donnait l'impression qu'il resplendissait de jeunesse ce qui rendait un contraste marquant avec nos habits stricts et nos corps amaigris par la faim. Chez elle ce qui me fascinait surtout, c'était son courage. Une foi immense qui ne faiblissait pas sous les assauts des gardes, qui au contraire se renforçait chaque jour. Elle me répétait inlassablement que le traité de paix français ne durerait pas et que les camps cesseraient d'exister, détruits par les anglais et les américains qui viendront obligatoirement nous sauver. Elle m'assaillait avec une horde de Balzac, Kipling, Hugo et un bataillon de Maupassant, Voltaire et je ne sais quels autres écrivains connus armés seulement d'une plume et de leurs mots. Leur liberté c'était l'espoir, c'était des rêves que l'on partageait, quand les adultes eux avaient tout perdu. On essayait de survivre, pour connaître enfin cette liberté, échafaudant des plans irréalisables pour s'enfuir. C'était un doux songe d'enfant qui nous permettait de résister aux intempéries de la vie. Les semaines passèrent, sans qu'aucune amélioration ne vienne. La vie suivait son cour, lent et inhumain. Nous refusant toutes informations, nous étions ignorants des actes de dehors. Les seules indications que nous pouvions glaner étaient obtenues par les nouveaux arrivants. Malheureusement ces renseignements étaient bien souvent maigres. On avait peur de parler à cause des gardes qui nous surveillaient en permanence et il fallait ruser pour ne pas être pris en train de discuter. C'est dans l'une de ces quêtes aux informations que nous fîmes la connaissance de François. Un membre de la résistance, dont il refusait de nous parler. C'était un homme grand, mais pas avec une forte carrure. Son visage était fin il aurait pu être beau, sans ces sourcils broussailleux, qui lui donnaient un air presque sauvage. Ce qui était le plus surprenant c'était son langage, il parlait avec une facilité déconcertante. Ma mère appelait souvent ces gens « les beaux parleurs » sans que j'en comprenne totalement le sens, ce mot m'était restait et c'est comme ça que j'en décrivis François. Nous devinrent vite amis dans ce camp de ténèbres et les jours continuèrent de s'écouler. La nouvelle année arriva et avec elle les tempêtes. Un jour que l'orage était d'une violence inouïe, un arbre s'abattit sur le mur ouest, créant une légère faille. Cette mince fissure ne pouvait seulement laisser passer un enfant de petite taille et encore. La main d'œuvre étant occupée aux carrières dehors, des gardes furent postés devant le trou, afin d'éviter que l'on puisse rentrer en contact avec l'extérieur. Une idée fixe vint alors s'imposer à nos esprits: s'enfuir.
Le plan imaginé était simple en soi. François devait attirer l'attention des gardes nous permettant donc de nous enfuir. Après cette diversion nous devions aller chercher de l'aide au village. Malheureusement François devait rester ici. Laisser notre ami-là était cruel, mais il n'y avait aucun autre moyen et de plus François insistait. Alors que la nuit tombée sur le camp, après d'interminables adieux, nous passâmes à l'action. Les gardes ne virent que du feu à notre stratagème. François jouait à la perfection son rôle, leur faisant croire à une tentative d'échappement à l'autre bout du campement. Cependant alors que nous avions commencé à nous éloigner du camp, des pas se firent entendre. Nous avions été repérés. Comment cela avait-il pu arriver ? Je l'ignorais, mais une chose était certaine : nous devions fuir. Ce fut alors une course folle vers le village, quand soudainement un coup de feu se fit entendre suivit d'un cri bref. Je me retournais Annie n'était plus là.