Je l'avais perdu des yeux quelques secondes et elle était morte. Non je me trompais ce ne pouvais pas être possible, pas elle, pourquoi maintenant, si près du but. C'est à ce moment la que j'arrivais au village, mais pourquoi demander de l'aide si Annie n'était plus là. Je déambulais perdu, quand brusquement une patrouille arriva. J'eus juste le temps de me cacher qu'ils étaient déjà ici. Pendant un court instant j'eus l'idée folle de me montrer. Mais Annie n'aurait jamais voulu que je meure. Il fallait que je vive pour voir la liberté qu'elle souhaitait tant, il fallait que je vive pour témoigner de notre cauchemar. C'est à ce moment qu'un garde me remarqua. C'était un petit homme, aux cheveux bruns, les yeux de la même couleur. Un homme ordinaire tel que l'on trouve partout en France. Je crus alors ma dernière heure venue. Mais au lieu de me dénoncer, il m'ignora. Pendant un moment je doutais qu'il m'est réellement remarqué. Mais lorsque la patrouille repartie, il m'adressa un léger signe de tête et s'en alla. Je venais d'être sauvé par l'un de mes ennemis. Profitant de l'absence des nazis je me mis à toquer aux portes. Seulement les habitants terrifiés par le camp refusaient de m'ouvrir. Je restais donc seul frigorifié par la neige qui venait de commencer à tomber. Je dormis cette nuit-là dans la rue, sous la corniche d'une maison, trempé, gelé et apeuré : avec mes certitudes brisées. On n'avait refusé de m'ouvrir une porte, de me protéger. Si la patrouille ne me trouvait pas, je mourrai certainement de froid ou de faim. Je m'étais recroquevillé sous le duvet blanc qui descendait du firmament et qui venait jusqu'à moi soufflé par une brise hivernale. C'est dans cette position que les gardes me trouvèrent le lendemain. Trop faible pour fuir et trop triste pour ne pas me résigner à mon sort, je fus ramené au camp. Lors du voyage, les gardes me traînèrent dans la boue et leur bouche hargneuse me criait un flot d'injures. Ces monstres prenaient un malin plaisir à me harceler de méchancetés et à me renvoyer dans les ténèbres que mon cœur avait créé. Quand nous arrivâmes enfin au camp, l'horreur me saisit: derrière les gardes se trouvait François, qui me regardait d'un air mauvais, ses yeux étincelants du feu de la victoire. Il nous avait trahi. Si les guetteurs avaient été si vite sur nos traces c'est qu'il s'était vendu à l'ennemi, qu'il avait trompé notre confiance, abandonné notre patrie, et nous, nous étions son billet de sortie du camp. Enfin s'il pouvait réellement un jour en sortir.
Trahi par un homme égoïste au point de vendre ses seules amis, trahi par les villageois qui avaient refusé de me protéger, la seule personne qui avait tenté de me sauver était ce garde nazi. Le seul homme qui avait un cœur, faisait partie de ceux qui étaient réputés pour ne pas en avoir. Je pris, alors, directement le chemin de la chambre à gaz, conduit de force par un Capot. Chemin sans retour, ou tout au bout se trouve la mort, mais aussi la délivrance et le repos éternel.
Voici mon histoire je m'appelle Nicolas, j'ai quatorze ans, je suis juif et je vais mourir.