A mon réveil elle était encore là, et j'avais l'impression que sa peau toute entière sentait désormais l'odeur de la mienne. J'avoue qu'on a dormi collés... Mais au moins, elle a dormi au chaud toute la nuit.
J'ai légèrement gigoté pour me défaire de notre emprise mutuelle mais manque de bol, elle s'est réveillée.
- Tu peux te rendormir.
- Non...
Elle a frotté ses yeux en s'étirant.
- Tu as bien dormi ?
- Oui. Et toi ?
- Oui, très bien.
- Merci pour... Cette chaleur humaine.
Elle a légèrement souri en détournant le regard.
- Tu sais Harry, tu es un garçon génial.
- Qu'est-ce qui te fais dire ça ?
- C'est déjà la deuxième fois que tu m'accueille ici, moi pauvre sans-abris.
- C'est pas ce qui me coûte de plus cher... J'ai déclaré en me levant - Et en plus de ça, ça te profite.
- Où est-ce que tu vas ?
- Travailler.
- Je vais me rhabiller alors.
- Euh... Tu pourrais peut-être rester ?
J'ai enfilé un gros gilet.
- Rester ? Elle a répété
- Oui, rester. Jusqu'à ce que je revienne, quoi.
- Pour quoi faire ?
- Je ne sais pas... Te tenir au chaud !
- Ici ce n'est pas chez moi, c'est chez toi. Je ne reste pas chez toi quand tu n'es pas là, je ne devrais même pas être là quand tu es justement ici...
- Cesse de raconter n'importe-quoi.
- Je ne raconte pas n'importe-quoi.
- Dis-moi Charlie, comment comptes-tu te sortir de la rue ?
Lorsque je posai mon regard sur elle, elle me fixait pleine d'incompréhension.
- Oui dis-le-moi, puisque tu ne comptes pas accepter l'aide des autres.
- Ce n'est pas ça, c'est que je ne veux être redevable de personne.
- Malheureusement dans ta situation tu n'as pas d'autres choix que de faire confiances aux autres. Alors essaie de me faire confiance, juste là-dessus...
- Sur quoi ?
- Laisse-moi t'aider à t'en sortir.
- Et qu'est-ce que tu comptes faire ?
- Tu n'as qu'à rester ici jusqu'à ce que tu trouves un travail.
Elle ricana.
- Un travail... Harry, as-tu vu à quoi je ressemble ? Mes cheveux sont un nid à paille, je dois sentir mauvais, je ne sais même pas comment tu as-pu rester collé à moi toute la nuit, je parais sale, et de toute façon c'est ce que je suis. Les seules fringues que j'ai sont craqués et super sales, mes chaussures sont trouées...
- Tout ça, ça s'arrange.
- Non, ça ne s'arrange pas. Une fois que tu vis dans la rue, tu deviens une fille de la rue, c'est tout. Tu es destinée à ça. Tu ne peux pas te repentir après, si j'y ai atterri, c'est qu'il y a une raison. Je ne mérite pas d'être aidée même par un homme plein de gentillesse.
Elle s'est découvert de la couette, puis a quitté la chambre. Je l'ai rapidement suivie.
- Où-vas-tu ?
- Chez moi.
- Tu n'as pas de chez toi.
- Chez moi, c'est la rue et occasionnellement les foyers pour la nuit.
- Je te propose de t'aider à prendre un nouveau départ, Charlie...
- Je ne veux être redevable de personne. Elle répéta à nouveau
- Tu ne seras redevable de rien, je veux simplement t'aider.
- Mais pourquoi tu veux m'aider moi ? Elle se retourna brusquement
- Je n'en sais rien. En réalité si je te le disais, je suis sûr que ce serait ce qui te ferait fuir... J'ai baissé les yeux
- Je t'écoute, Harry.
Mon prénom sonnait presque trop bien sortant de sa bouche.
- Je ne vais pas te mentir, je passe devant des sans-abris très souvent dans la rue tous les jours. Mais c'est toi là... La première fois que je t'ai vue tu dormais. Je t'ai regardée quelques secondes, et même si tes yeux étaient fermés c'est cette chose que tu dégageais... Je ne sais pas quoi, n'essaie même pas de me le demander je serais incapable de te répondre. Tes cheveux cachaient un peu ton visage, tu étais enroulée dans ta couette sale et... Craquée. On voyait pourtant ton jean déchiré à certains endroits dépasser de celle-ci, et je me suis dis que toute la misère du monde était sur tes épaules. J'ai voulu t'aider, c'est tout... Si ça ne tenait qu'à moi, je t'aurais gardée chez moi dès le premier soir. Enfin... Je te l'aurais proposé. Et c'est complètement débile, mais maintenant je tiens à toi d'une certaine manière. Je ne voudrais pas qu'il t'arrive quelque chose de grave dans la rue. C'est super dangereux et je n'aime pas y savoir quelqu'un comme toi.
- Quelqu'un comme moi ? Elle répondit d'une voix chétive
- Je suis sûr que tu peux faire des belles choses avec un peu d'aide. Je ne te promets pas strass, paillettes et vie de star mais je suis sur que je peux contribuer à t'aider à te trouver un petit job qui te fera vivre suffisamment pour une très longue partie de ta vie.
- Je ne le mérite pas.
- Et pourquoi ?
- Parce-que si mes parents m'ont mise à la porte c'est qu'ils le devaient.
- Tu n'as pas choisi de te retrouver à la rue aussi jeune... C'est eux et ils devraient avoir honte. Moi je te propose de prendre ta revanche sur eux, tu ne devrais pas te sentir coupable dans cette situation. C'est eux qui n'ont pas correctement endossé leur rôle de parent, ils ont été horribles et ce n'est en rien ta faute.
- Un petit peu quand même... Je les ai déçus.
J'ai soupiré.
Nous sommes restés quelques instants le souffle court et les bras ballants à se regarder dans le blanc des yeux.
J'ai compris à cet instant que d'une certaine manière je venais de me lier à Charlie. Que quoi qu'il lui arrive, ou quoi qu'il m'arrive, une partie d'elle m'appartiendrait désormais toujours, tout comme une partie de moi était désormais à elle. Je ne sais pas, c'était assez étrange comme moment.
Surtout que maintenant c'était sûr que j'allais être en retard au lycée.
Au diable, ce moment était important. Je venais en quelque sorte de faire la promesse de sortir Charlie de sa mouise.
Et je le jure que le ferais, que je réussirais.
Ca se voit dans ses yeux, elle a le droit à sa part de bonheur.
Elle a le droit à sa chance.