2# - Leçon de géométrie

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Je vous rejoignis à votre bureau à la fin de ma dernière heure. J'étais seule avec vous dans cette salle lugubre où les figures géométriques des sixièmes se racornissaient sur les murs. Les rideaux décrépits d'un ocre à faire plisser le nez masquaient les fenêtres et opacifiaient presque toute la pièce. Le plafonnier était éteint. Les coins d'ombre se multipliaient à vue d'œil. Comme vous rangiez lentement vos affaires en m'ignorant superbement, je ne trouvai pas d'autre occupation que de patienter, me rongeant furieusement les ongles, en contemplant cette hideuse salle que je haïssais tant. Il faut dire que je l'honorais de ma présence depuis quatre ans et que j'en avais plus que ras le bol de passer du temps supplémentaire ici, en plus des habituelles quatre heures par semaine.

Les tables étaient rayés de graffitis, style Machin aime Machine, "les équations c'est pour les cons", ou encore un charmant petit dessin de... de... Bref. Vous étiez assis à votre bureau miteux, et aviez enfin terminé de ranger vos affaires, mais cherchiez toujours à vous occuper, tripotant vos oreilles ou un coin de cahier. Une tasse de café froid était posée sur le coin. Je luttai contre mon envie de l'envoyer se fracasser contre le sol, ce avec difficulté. Je dus immobiliser mes bras en les coinçant derrière mon dos pour résister à la tentation. Je me concentrai sur autre chose. Quelqu'un avait oublié une équerre sous une chaise. Vous la ramasseriez. Je ne sais pourquoi, mais collectionner les équerres oubliées était votre passion.

Vous aviez alors brisé le silence et abrégé ma contemplation morne d'une mouche sur les carreaux grisâtres en m'ordonnant de fermer la porte. Je n'avais pas peur de vous. Je savais bien que vous n'alliez pas me violenter. Alors je m'exécutai avec mauvaise humeur. Me traînant jusqu'à la porte d'une démarche lourde, je la claquai si fort que de petits bouts de plâtre se décollèrent du mur et blanchirent le sol gris de poussière. Vous eûtes un soupir disgracieux et me fîtes signe de revenir près de vous d'un geste vague de vos immondes doigts boudinés. De ceux-ci, vous m'indiquâtes une table proche de votre bureau. Je laissai tomber lourdement mon sac dessus, tirai la chaise et m'affalai, la tête dans les bras et les jambes croisées, cherchant par tous les moyens d'éviter votre regard. Alors vous commençâtes à parler avec votre petit accent ridiculement snob. Je ne vous écoutais absolument pas et pianotais sur mon portable, cachée derrière mon sac.

Vous aviez dû vous rendre compte que votre monologue concernant la chute de mes résultats scolaires me laissait indifférente. Vous vous penchâtes et m'ôtâtes mon téléphone des mains, sans prêter attention à mes mugissements furibonds. Vous aviez le don de me faire sortir de mes gonds très rapidement. Et pourtant, je suis d'une nature plutôt patiente. Vous insistâtes pour que je vous regarde quand vous me parliez. Je vous narguai exprès, en fixant vos coudes derrière mon rideau de cheveux noirs. Alors vous vous fâchâtes, comme quoi j'étais une élève épouvantable, insolente, paresseuse, mesquine, et j'en passe... Vous disiez tous la même chose, dans ce foutu bahut. Et vous n'aviez pas encore compris que je m'en tamponnais sérieusement.

Vous hurliez de plus en plus fort en voyant que je bâillais nonchalamment, savourant la satisfaction d'avoir récupéré mon portable. Et vous en rajoutâtes avec vos insultes. Mais des insultes... beaucoup plus graves. Et qui faisaient beaucoup, beaucoup plus mal.

Par rapport à mes origines, ma religion, mon orientation sexuelle... C'en était trop. Je ne pouvais pas en supporter davantage. Vous parûtes surpris lorsque je bondis de ma chaise en vous répondant sur le même ton. Et une fois partie, je ne pus m'arrêter. Un flot d'injures jaillissait de ma bouche et vous frappait de plein fouet. Je criais, je criais, je criais, sous l'emprise d'une colère si noire et...

D'une tristesse. Je hurlais aussi ma tristesse. Vous ne pouviez pas savoir les épreuves horribles que j'ai endurées. Mon petit frère ! Vous savez ce qui lui est arrivé, à mon petit frère ? Non ! Alors foutez-moi la paix avec vos moyennes qui se dégradent et vos avis comme quoi je ferais mieux de m'y remettre sérieusement ! Qu'est-ce que c'est, les cours, quand on a perdu quelqu'un ?!

...un détail. Voilà. Un détail. Et puis, cinq de moyenne, c'est très correct. C'est un joli chiffre. C'est un hommage. Un hommage à l'âge qu'il avait... Et qu'il aura pour toujours.

Vous brailliez que j'étais cinglée et qu'il fallait que je me calme. Mais je ne pus pas. Mon attention se dirigeait vers cette putain d'équerre en plastique jaune accrochée au tableau. La colère, semblable à un monstre qui enflait dans mon ventre, m'aveugla, et je m'emparai de l'objet. Mes ongles crissèrent désagréablement sur le plastique. Je ris de votre tête incrédule quand j'ai brandi l'instrument. Vous étiez tétanisé, littéralement. J'en profitai pour appuyer contre votre crâne atteint de calvitie du bout de l'équerre le plus pointu. Et je commençai à forcer dessus.

La pointe de plastique s'enfonça très lentement dans votre front, car elle était vieille et émoussée. Mais ma rage, elle, était fulgurante et aiguisée. La peau se déchira lentement, vous arrachant un gémissement de douleur. Je vous plaquai contre le tableau car vous ne cessiez de remuer. J'arrivai mieux à manœuvrer, lorsque tout à coup, je sentis une résistance. Cela devait être la boîte crânienne. Durant de longues minutes, je m'acharnai dessus comme une grosse bourrine tout en riant aux éclats. Je vous sentais souffrir atrocement et perdre peu à peu connaissance, ce qui me satisfaisait grandement. J'eus un rictus en entendant le son sec du crâne se fracturant petit à petit, et je continuai de pousser lentement, toujours plus profond, tandis qu'au sang coulant abondamment de la blessure se mêlaient des morceaux de cerveau. Soudain, je vis l'extrémité de l'équerre percer sous la nuque. J'appuyais, j'appuyais, mais la peau ne cédait pas. Je dus l'arracher de mes ongles pour qu'enfin je vis pointer le bout de plastique jaune. Puis je tirai l'objet d'un coup sec vers moi, et ma joie fut immense lorsque je vis votre répugnante cervelle pendre, embrochée sur votre équerre. Vous étiez mort depuis quelques temps, mais je fis comme si vous viviez encore.

Je l'approchai de mon visage et reniflai votre organe. La masse visqueuse collait au plastique ; spongieuse, elle était de couleur grisâtre. Pas étonnant que vous ayez tant de mal à réfléchir avec une telle éponge dans le crâne... Soudain, une idée m'arracha un sourire machiavélique. Je savais quoi faire de ce déchet. Mais d'abord il fallait que je regarde à l'intérieur. Son contenu m'obsédait follement. Si ils nous faisaient faire ça, en sciences, je prendrai la peine d'aller en cours même les jours impairs ! J'ôtai le cerveau de l'équerre et le prit dans mes mains. La consistance molle me fit grimacer, mais je m'empressai de l'ouvrir avec mes doigts.

Ce ne fut pas une mince affaire. Mes ongles ripaient sur le cerveau sans le percer et je m'énervai vite. Mais je réussis finalement à creuser un trou que j'élargis ensuite en gloussant. Avec l'aide de mes ciseaux et de la fameuse équerre géante, je le découpai en plusieurs morceaux et en éparpillai un peu partout dans la salle. Sous une chaise, accroché à la poignée de la fenêtre, caché dans l'armoire...

Ma colère s'était calmée. Mais pas ma haine. Le dégoût tordant mon visage, je m'approchai de votre cadavre étendu sur le sol et vous hissai sur le bureau pour vous observer.

J'avais réussi à élargir la petite ouverture de départ avec l'équerre et ainsi, votre cerveau avait pu sortir. Un trou béant décorait votre front et un autre, plus petit mais fait de morceaux de peau arrachée, l'arrière de votre crâne. Je ne pouvais pas continuer à vous regarder, vous, ce monstre effroyable. Alors je vous poussai dans l'autre armoire, restée ouverte et vous pendit à l'un des crochets à l'aide du trou sur votre nuque. Parfait. Je fermai à clé. La prochaine personne qui ouvrirai cette armoire vous verrait dans ce pitoyable état.

Mon œuvre était éparpillée un peu partout. Mais pour l'instant, rien n'était visible. Oh, à part peut-être le sang qui avait éclaboussé tout le sol.

Je remis mon sac sur mon épaule et m'en allai le plus naturellement du monde.

Tortures & SupplicesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant