Chapitre 1 (1/3) : Un nouveau regard

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Quand Remont rouvrit les yeux, la plaine était silencieuse, et l'air infect. Il sentit une masse importante peser sur ses jambes, et alors qu'il tentait de la déplacer, ses yeux à peine habitués à la lumière du soleil, il la sentit légèrement bouger. Une voix, murmure presque inaudible l'appela. Il se trouva en face d'un homme - ou ce qu'il en restait - agonisant sur ses jambes, aux côtés de nombreux autres cadavres amoncelés sur le champ de bataille désormais vide de vie. Alors qu'il se relevait, Remont observa la mort et la désolation qui régnait autour de lui. Quelques klais, oiseaux à fourrure charognards, se battaient pour tirer le plus gros festin des entrailles ouvertes au sol et leur croassement résonnait dans la vallée comme une lugubre mélodie. Il s'agenouilla près du soldat aux portes de la mort et le regarda silencieusement.

"Aide-moi... Tu portes les couleurs de l'Empire, tu es revenu pour me sauver, c'est ça ? On a battu ces sales lézards, ils reviendront pas de sitôt..." Il rit légèrement, toussant quelques glaires de sang dans son effort. "Je savais que notre bon Malvorias n'abandonnerait pas ses hommes tombés au combat. Où sont les BandeMages ?"

Remont était sans voix. Il ne pouvait lui avouer que la vie de ce soldat, victime du champ de bataille sans aucune utilité pour l'Empereur, allait prendre fin. Aucun de ces sorciers médecins ne viendrait le secourir, pour l'unique raison qu'ils n'avaient que faire de simples fantassins, et avaient quitté la bataille en même temps que le Roi dans son Tombeau, Malvorias. Il entendit le battement d'ailes des klais se rapprocher, aussi inexorablement que la mort. Devant le silence du jeune soldat, des larmes commencèrent à couler le long de la joue du blessé, se mêlant au sang qui recouvrait son visage.

"Personne ne viendra, hein ? Je vais mourir ici, et personne ne me pleurera. Personne ne se souviendra de moi.

- Tu as tort. Les BandeMages arrivent. Cesse de parler maintenant, et ferme les yeux. Repose-toi.

- D'a... D'accord." Il serra la main de Remont en guise de remerciement, et détourna le regard. Le revenant posa ses yeux sur son frère d'armes de fortune, et sentit la terreur gagner son esprit. Il pouvait ressentir les émotions qui parcouraient cet homme. La peur qui laissait peu à peu place à l'espoir. L'image du soldat tombé, s'amusant aux côtés de ses enfants, le regard aimant de sa femme sur eux, lui frappa l'esprit alors qu'il reculait de quelques pas sous le choc. Perturbé par cette vision, il entendit l'homme pleurer à chaudes larmes. Remont vit la joie de retrouver les siens emplir l'esprit de l'infortuné. Un torrent d'informations sur le passé de ce dernier entrait dans son cerveau alors que son œil droit, soudainement dissocié de son autre globe oculaire, se mouvait de lui-même. Quand il reprit ses esprits, de nouveau maître de son corps, le Revenu était à genoux, et pleurait lui aussi. Il se leva, ramassa l'épée qui lui avait plus tôt transpercé le cœur, et se mit en garde.

"Tes enfants seront fiers de toi, tu ne seras jamais oublié" dit-il, abaissant son arme sur la gorge du soldat agonisant, séparant d'un coup sec sa tête de son corps. Remont s'agenouilla alors à ses côtés, afin de prier pour le salut de son âme.

Le jeune homme repensa à cette vision d'horreur qu'il avait eu à sa mort, et aux images qui avaient traversé son âme à la rencontre du fantassin. Il toucha sa paupière droite, gardant son œil fermé, et rit. Il s'esclaffa à gorge déployée, proclamant son bonheur d'être en vie qui se mélangeait à ses larmes à la vue d'un tel carnage. Il posa sa main sur son collier, au symbole du culte d'Amuun, un œil transpercé par une épée, et l'arracha d'un violent geste. Plus Remont regardait le pendentif du Seigneur de l'Inconnu, plus il sentait son œil droit se mouvoir, s'agiter, comme si l'Omniscient, cette créature qui l'avait fait renaître, y réagissait.

"Je suppose qu'un nouveau dieu veille sur moi, à présent" lança-t-il avant de jeter le collier sur le torse de l'homme qu'il venait d'achever quelques instants auparavant.

Alors qu'il s'apprêtait à quitter le champ de bataille désormais désert, Remont entendit plusieurs acclamations au loin. Il se retourna brusquement et ne reconnût pas les drapeaux que les quelques soldats venus à sa rencontre brandissaient, représentant un crâne de lézard surmonté de deux faux. Le Revenu leur adressa un signe nonchalant mais, à mesure qu'ils s'approchaient, il lui semblait évident qu'ils faisaient partis d'une des nombreuses tribus Baakis, d'immondes reptiles à l'apparence humanoïde, qui avaient participé à la bataille. Sans doute étaient-ils venus récupérer leurs morts pour leur offrir une sépulture digne des Grands Serpents, leurs soi-disant ancêtres, ou soigner les rares survivants de ce carnage. Biens qu'ennemis de l'Empire, Remont pouvait reconnaître que les peuples qui formaient le Bouclier des Justes avaient au moins une qualité, ils n'abandonnaient pas leurs hommes et faisaient preuve d'une loyauté sans égard. Mais aujourd'hui, c'était cette valeur qui faisait défaut au jeune soldat : Il se trouvait encerclé, et menacé par leurs lances tribales.

"V'la un gosse qui s'est perdu! T'as pas l'air trop endommagé, gamin, tu t'es caché pendant tout ce temps?" railla un homme à l'apparence d'une salamandre, regardant ses confrères en guise d'approbation.

"Ouais, qu'est ce que vous voulez, les chiens de l'Empire font les durs en meute, mais quand ils n'ont plus leurs petits copains de la Lame Ardente, ils font tout de suite moins les malins!" lui répondit le soldat à sa droite.

"Tu vas pleurer ? Personne ne viendra te chercher mon beau. Vous nous avez peut-être battus cette fois, mais au moins, on aura un petit cadeau à ramener au clan. Festin ce soir !

Depuis l'apparition du Roi dans son Tombeau, deux factions importantes s'étaient créées au cœur des terres de Sanctum. Menée par l'Empire, la Lame Ardente avait pour objectif l'expansion de leur territoire, et l'asservissement des peuples qui ne se rallieraient pas à eux, et leur religion. Logiquement, le Bouclier des Justes se forma afin de contrer cette menace. Pourtant, ils n'avaient de "justes" que le nom. Au cours de ses années passées à voyager en garnison, Remont avait été témoin des nombreuses atrocités commises par ces peuples, et notamment les Baakis. Tout en serrant les poings afin de ne pas répliquer - et ainsi, lui donner le temps de réfléchir à un plan - il aperçut trois hommes baakis, placés derrière leurs "muscles". Ils avaient tout l'air de médecins de guerre, mais semblaient plus apeurés par la situation que leurs collègues. Tout à coup, le plus chétif des assaillants sursauta en croisant le regard de Remont. Intrigués, les trois autres soldats s'approchèrent, tandis que le premier s'étonnait.

"Son regard là, il est bizarre ! Comme si il bougeait tout seul, et il a plein de pupilles !

- Eh, mais c'est vrai, ça. T'as un problème, gamin ? C'est quoi, cet œil bizarre ?" lui demanda l'homme-salamandre, en approchant une petite dague enfouie dans sa manche du visage de Remont. "C'est une technologie de ces salauds de la Lame ?

- C'est surtout pas vos affaires, les lézards." osa Remont, dans un élan d'arrogance, qui irrita d'autant plus les baakis.

"On va voir ça !" s'écria celui qui semblait être leur chef, plantant sa dague dans la paupière du Revenu. La douleur fût immense, et il tomba à genoux. Son œil fût arraché sous l'impact, et n'était retenu que par les quelques nerfs optiques qui le rattachaient à son corps. Cependant, le globe oculaire continuait de se mouvoir dans les airs, et Remont put apercevoir, malgré la douleur, les nombreuses pupilles qui recouvraient l'organe, chacune d'une couleur différente. La salamandre lui asséna un violent coup de pied qui le fit basculer à terre, et ils le rouèrent de coups. Alors que Remont tentait d'appeler à l'aide les mages médecins qui observaient la scène dans un silence honteux, il reçut un violent coup d'estoc en pleine gorge et poussa un faible cri, semblable à celui d'un cochon égorgé, sous la surprise. Après avoir déglutit quelques gargouillis de sang, il murmura quelques mots de désespoir, en rendant son dernier souffle. "Tout ça... Pour ça ?"

Sanctum DeusWhere stories live. Discover now