Chapitre 3 : la vérité

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Depuis ce jour-là, la colère avait germé en moi, puis au fil du temps, grandit au point que j'en vins à détester cet homme, que dis-je, ce brigand. Certes, il ne me pompait pas mon sang, mais il me pompait mes vivres, le peu de joie que je possédais, et avec cela mon énergie. Cela devait bien faire plus d'une dizaine de jours que chaque jour, sans faute, il m'attendait en dessous de mon arbre, assis sur mon tapis de mousse, avec ce chaperon d'un rouge sanglant lui recouvrant la quasi-totalité du corps, cet horripilant sourire en coin fiché sur ses lèvres, et mon carnet entre ses mains. Et chaque jour, sans faute, il me demandait : « Je t'ai manqué ? ». Je ne répondais jamais, par peur, et je me haïssais de plus en plus pour cela, tout autant que je haïssais le vampire pour l'humiliation qu'il me faisait endurer.

Cependant, il ne semblait pas être un monstre total, car il me laissait manger mon morceau de pain et ma pomme de temps en temps. Il m'intriguait de plus en plus, me perturbait, ce que je ne comprenais pas, car je le détestais aussi de plus en plus. C'en était encore plus perturbant. J'étais sans arrêt aux aguets, tremblant, et la veille-même, je fus pris d'une crise d'angoisse. Cet homme me terrifiait, qui sait ce qu'il pourrait me faire lorsqu'il aura décidé d'arrêter de jouer avec moi ?

Pourtant chaque jour, sans faute, je me rendais à notre lieu de rencontre, la boule au ventre, pour pouvoir dessiner. Et cela faisait quelques jours que, sans faute, le vampire venait se poser à mes côtés, toujours aussi silencieusement, pour observer mes gestes. Mon cœur battait vite dans ces moments-là, et mes mains tremblaient. il était bien trop proche, et je n'aimais pas ça. Il me faisait penser au loup, menaçant, omniprésent, tel une ombre dont on ne peut se débarrasser.

Et puis, un nouveau sentiment s'insinuait aussi en moi, c'était la curiosité. Plus les jours passaient, et plus l'envie de découvrir son visage me tiraillait. Je me surprenait de temps en temps à le dévisager, essayant de deviner les traits de son visage, sans résultat concluant.

- Tu ne dessines pas, aujourd'hui ? me questionna-t-il.

Il m'avait fait sursauter : il était arrivé dans mon dos et s'était penché près de ma tête sans un bruit.

- Je n'en ai pas envie, répondis-je, plutôt étonné qu'il me parlât pour dire autre chose que des ordres.

Il ne répondit rien, et s'en alla vers mon sac, qu'il ouvrit d'un geste brusque. Mon cœur se serra à la vue de mon précieux pain qui disparaissait dans les pans de sa cape vermillon.

Il devait être aux alentours des cinq heures du soir, et je n'avais définitivement aucune envie de subir son regard invisible mais pourtant perçant, alors je décidai de cueillir des fleurs pour ma mère dans la clairière. Cela lui ferait plaisir, j'en était certain. Nous n'étions pas forcément très proches, elle et moi, depuis que mon père était parti, mais nous travaillions beaucoup, surtout elle, et je la savais épuisée.
Je composai donc un bouquet blanc, rouge, jaune et bleu. J'adorais les fleurs, depuis tout petit, car mon père allait en cueillir avec moi souvent, pour les ramener à mère. Il m'avait appris le nom de toutes les fleurs qu'il était possible de connaître. Celle-ci, la haute plante aux trompettes jaune pâle, était ma préférée. Elle s'appelait aconitum lycoctonum. Ou autrement dit l'aconit tue-loup. Je me demandai comment une si jolie chose pouvait ôter la vie, à un animal qui ne le méritait pas de surcroît. Mon père me racontait que l'on en usait pour tuer des créatures étranges, mi-homme, mi-loup, dont j'avais maintenant oublié le nom. Je n'y croyais pas trop, à vrai dire, cet homme me racontait tout le temps des histoires, qui étaient bien souvent erronées. Mais bien souvent captivantes.
Avec des gestes assurés, j'arrangeai ma petite botte fleurie tout en lâchant un soupir. J'aurais bien aimé qu'il m'en raconte encore, des histoires.

Kaisoo - Le Chaperon RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant