Chapitre 5 : N'as-tu pas peur ?

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Le lendemain, j'étais retourné dans la forêt, et je ne ressentais plus cette angoisse oppressante qui menaçait de m'étouffer à chaque instant. Jongin y était, et lorsqu'il m'avait souri, comme à son habitude, j'avais souri aussi. Puis nous nous étions amusés, encore. Il connaissait tout un tas de jeux dont je ne soupçonnais pas l'existence, peut être en avait-il inventé certains. Je sentais qu'il en avait besoin, de jouer, pour décompresser d'une certaine manière, pour éviter de penser - à sa famille sans doute. Alors je prenais part, et je m'occupais de lui. À plusieurs reprises, je me pinçais le bras, persuadé de nager en plein songe, mais la douleur qui suivait me prouvait le contraire. En fait, et je n'osais me l'avouer, cela me faisait un bien fou de m'adonner à ces jeux enfantins, peut être même tout autant qu'à Jongin.

- Es-tu mon ami, Kyungsoo ? me questionna-t-il quelques jours plus tard, alors que nous étions allongés côte à côte dans la petite clairière, épuisés d'avoir trop couru.

Je tournai ma tête vers lui, les sourcils levés. Sa question m'avait pris de court, car je n'y avais jamais vraiment réfléchi.

- Je pense, oui, fis-je après un temps d'hésitation.

C'était vrai, je l'appréciais, j'ajouterais même de plus en plus. C'était étonnant de voir comment notre relation avait évolué si rapidement, et si facilement, alors qu'au départ, je considérais cet individu presque comme la mort elle-même. À présent, c'était avec le sourire, et impatient, que je me rendais en forêt chaque jour.

Jongin était très vite devenu un compagnon de jeu, aussi bizarre que cela puisse sembler, et, en quelque sorte, mon protégé. Et bien que nous passions toutes nos journées ensemble, nous ne parlions pas réellement lui et moi. Je savais qu'il avait des problèmes avec sa famille, qu'il avait des problèmes avec lui-même, qu'il souffrait, et cela me serrait le cœur de le voir ainsi, mais je n'osais aborder aucun de ces sujets avec lui, connaissant son comportement.
Et cela m'étonnait à chaque instant, mais le fait qu'il soit fou, j'en étais presque certain à présent, ne me dérangeait aucunement. Au contraire, ça lui apportait quelque chose, quelque chose que personne d'autre ne possédait. Ça le rendait unique. Oui, après tout, il se pourrait bien qu'il soit mon ami.

- Tu penses que l'on est des amis, toi ?

- Oui, répondit-il sans l'once d'une hésitation.

Sa réponse provoqua dans mon ventre une sensation étrange, que je n'avais jamais ressentie auparavant. Je regardai Jongin. Il gardait son visage tourné vers le ciel qu'il ne pouvait voir. Ce serait bien qu'il puisse, pourtant, il était vraiment beau aujourd'hui.

- Pourquoi ne me montres-tu pas ton visage ? osai-je lui demander.

Il tourna sa tête vers moi, et je fus traversé par l'envie de lui retirer son chaperon.

- Pourquoi as-tu autant envie de le voir ? répliqua-t-il, l'air sincèrement intrigué.

- Je veux seulement savoir à quoi tu ressembles, toi tu vois bien le mien, avançai-je prudemment, surpris qu'il ne se soit pas encore mis en colère.

- Je ne veux pas te le montrer, déclara-t-il, les commissures de ses lèvres tournées vers le bas.

- Moi je veux le voir, protestai-je.

- Je ne crois pas que tu veuilles le voir, Kyungsoo.

Je fronçai les sourcils.

- Pourquoi cela ? Tu ne me fais pas confiance ?

Jongin gardait résolument le silence, et j'en étais hautement frustré.

- Si je suis ton ami, tu dois tout me dire, et n'avoir aucun secret pour moi, affirmai-je, vexé.

Je ne pensais pas vraiment ce que je venais de dire, mais je voulais à tout prix découvrir son visage, comme s'il m'attirait. C'était sans doute dû à ma curiosité maladive.

Jongin resta un long moment silencieux, durant lequel je demeurai coït, attendant qu'il dise ou fasse quelque chose. Puis il soupira soudainement, et son souffle, il me sembla, était saccadé. Il tourna sa tête encapuchonnée vers la mienne, les lèvres serrées. Elles étaient vraiment belles, ses lèvres. Puis il prit enfin la parole.

- Si tu es mon ami, et que je dois tout te dire, alors toi tu dois me promettre de ne pas partir.

Je m'impatientais sérieusement : qu'avait-il de si horrible, son visage ?

- Promis, m'empressai-je de répondre.

Alors il vint accrocher ses mains aux rebords du tissu écarlate et épais de son chaperon, de part et d'autre de sa tête, et je retins ma respiration. Je ne sus pas vraiment pourquoi, à dire vrai.

D'un geste lent, comme réticent, il le ramena derrière sa nuque, libérant ainsi son visage. Je ne compris pas vraiment quelles émotions me traversèrent à ce moment précis, mais mes yeux se remplirent d'eau. Je plaquai un main sur ma bouche grande ouverte. Sa peau, que je m'imaginais lisse et pâle, immaculée, était en fait parsemée de cicatrices claires partout sur son front, sur le haut des joues, et tout autour de ses yeux. Je remarquai une marque plus boursouflée que les autres passant sur son œil gauche, juste au dessus de son sourcil, fin et noir comme sa chevelure.

Des yeux sombres comme un lac en pleine nuit, qui étaient si calmes et pourtant me transcendaient avec une telle force, une telle intensité. Mes pupilles se noyèrent dans les siennes. Ou bien dans mes larmes, je n'aurais pu le dire.

Jongin ne disait rien, il se contentait de rester bien droit et immobile, afin de me laisser le contempler. L'expression de son visage était bouleversante, sa lèvre inférieure frémissait, et ses sourcils étaient froncés. Tout son être était tendu. Il avait peur, je le sentais.

Alors, doucement, pour ne pas l'effrayer encore plus, je levai ma main devant son visage marqué, mais il eu un violent sursaut et un mouvement de recul. Je l'abaissai donc, une colère sourde venant remplacer la tristesse en moi, dirigée vers les monstres qui lui servaient de parents.

- Je ne vais rien te faire, Jongin, je suis ton ami, chuchotai-je comme si on pouvait nous entendre, comme si nous n'étions pas seuls au monde.

Il ferma ses paupières, expulsant de son œil une larme unique, qui s'arrêta un instant en haut de sa pommette, à l'extrémité de la cicatrice, puis continua son chemin le long de sa joue, pour venir s'échouer dans son cou.

- Tu es magnifique.

Et c'était vrai, je le pensais. Les nombreuses taillades qui recouvraient son faciès n'en enlevaient pas la beauté. Beauté sombre et charmeuse, beauté fascinante. Son regard m'attirait plus que tout en cet instant, et l'on en oubliait les traces de violence qui tâchaient sa peau.

Il rouvrit les yeux après avoir entendu mon compliment, et ses joues prirent une jolie teinte rosée. Son épiderme était pâle, mais pas de la façon dont je l'avais imaginé, il l'était trop. Translucide, presque maladif. Et les deux creux d'un violet sombre en dessous de ses mirettes hantées, ajoutés à ce teint blafard, lui donnaient l'air malade, presque mort.

- N'as-tu pas peur ? demanda-t-il d'une voix faible, remplie d'un espoir immense.

J'esquissai un sourire, touché par le garçon en face de moi qui avait honte de son propre visage. Je posai le plus doucement mes pouces sur ses joues, mes mains dans sa nuque, et il ne recula pas cette fois.

- De quoi devrais-je avoir peur ?

- De moi, affirma-t-il, comme si c'était une évidence.

- Bien sûr que non, Jongin, soufflai-je.

Je le pris brusquement dans mes bras, posant mon menton sur ses larges épaules et serrai mes paupières avec force. Comment pourrais-je ? Comment pouvait-on avoir peur d'un être si doux et innocent ? Il était seulement victime de sa vie, de sa famille.

- Bien sûr que non, répétai-je.

Je les détestais tous.

Kaisoo - Le Chaperon RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant