Chapitre 3

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Ah ! Comme la neige a neigé !

Ma vitre est un jardin de givre.

Ah ! Comme la neige a neigé !

Qu'est-ce que le spasme de vivre

À la douleur que j'ai, que j'ai.

Émile Nelligan

« Soir d'hiver »


Lorsque j'avais 12 ans, je suis partie en classe de neige avec l'école. Madame Betsy m'avait autorisé à partir et avait signé tous les papiers administratifs. J'étais tellement heureuse ce jour-là. Je m'étais déjà essayé au ski avec ma mère (mon père avait préféré le bar du coin) et j'avais toujours caressé l'espoir d'y retourner un jour. Mon rêve avait été exaucé, nous allions à la station de sports d'hiver de Cardrona. Les premiers jours avaient été incroyables, la sensation du vent sur mon visage inoubliable. Le 4ème jour se révéla quelque peu tendu, Mme Cabot avait crié toute l'après-midi sur Pierre-Jacques Laval, l'enfant turbulent de notre classe de cinquième, car il plantait ses bâtons dans les skis des touristes, créant de vraies catastrophes sur les pistes bleues et vertes. Elle criait si fort qu'elle avait déjà dû provoquer une demi-douzaine d'avalanches à la mi-journée. Plus personne n'était concentré dans le groupe et nous prîmes le mauvais chemin. Nous nous retrouvâmes au milieu d'une piste noire pleine de bosse, nous étions obligés de la descendre pour retourner à la station. En voyant la pente, je décidai que je n'aimais plus du tous les sports d'hiver. J'étais tétanisé et tous les autres, qui skiaient depuis leur plus tendre enfance étaient déjà en bas. Mme Cabot me donnait des instructions : « regarde devant toi, pas en bas » ; « fais ton virage ici » ; « allez, chasse neige ! » ; « perpendiculaire maintenant ». Après 30 min, j'avais à peine descendu un quart de la piste et elle devenait de plus en plus étriquée. J'allais attaquer mon quatorzième virage lorsque je fis l'erreur de me retourner face à la pente. Je partis comme une flèche.

À ce moment, le temps s'arrêta, c'était comme si des bribes de souvenirs de toute ma vie s'assemblaient pour former une ligne sur laquelle je dégringolais. Trois mille six cents fois par heure, soixante fois par minute et une infinité d'unités par seconde semblaient s'écouler tandis que je tombais et je revoyais tout : les policiers frappants à la maison : « vos parents ne sont plus là », Kara rigolant aux éclats, Hadel souriant... Je finis par m'écrouler dans un tas de neige à la fin du circuit. J'avais quelques côtés brisés et un nez cassé.

Mais cette fois, le bilan n'était pas aussi léger parce que je ne finissais pas de tomber. J'étais au sol de la chambre de mon frère et je hurlais. Bizarrement, il se passait exactement la même chose qu'il y a six ans, mais cette fois, il y avait seulement des images d'Hadel qui me revenait, toujours les mêmes, toujours le même sourire.

Il fallait que ça s'arrête, je devais faire quelque chose. La police ! Je pris mon téléphone et composai le numéro : 644-424...

- Ce n'est pas une bonne idée.

Je fis volte face. Un jeune homme roux était appuyé contre l'encadrement de la porte défoncée de la chambre. Il était plutôt grand et son visage exprimait un mélange d'exaspération et de mépris. Je me levai pour reculer d'un pas. Danger...

- Qui... Qui êtes-vous ? demandai-je

Des pas résonnèrent dans le salon et deux têtes apparurent dans mon champ de vision.

- C'est elle ? fît la première.

C'était une fille qui avait parlé, elle était brune aux yeux bleus. L'autre était un garçon... Le garçon de la boîte de nuit ! Merde alors ! Il m'avait suivi. Mais alors... Il avait peut-être un rapport avec mon frère ! La colère monta et je courus vers lui ! Je lui sautai dessus en griffant son visage.

Trois milles six cents fois par heureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant