Juju sur la grand'place

Juju aime terriblement les histoires, c'est ce qu'elle préfère.
Juju, quand elle sera grande, elle ira de ville en ville pour raconter ses histoires. Mais pas seulement les siennes. Elle recueillera toutes celles qu'on aura bien voulu lui offrir et les portera avec elle.
Elle trouvera la grand'place de chaque ville, y installera son tabouret sur lequel elle grimpera et elle déclamera ses victoires et ses défaites. Et les victoires et les défaites de ceux qui les lui auront confié. Et toutes les histoires finiront par s'entremêler pour n'en former plus qu'une seule. Gigantesque et épique. Avec des phœnix et des dragons, et des esprits et des grands sages.
Il y aura des batailles, des joutes, des rixes et des conflits. Et Juju parlera de son amour du combat. Elle racontera à ceux qui veulent l'entendre que la vie est un pugilat. Qu'elle est l'expression même de la lutte. Et la lutte se parera de ses plus beaux atours, Juju y veillera.
Elle annoncera aussi que l'affrontement n'est pas toujours une affaire malheureuse, bien au contraire ! Alors, elle évoquera les biches. Ces délicates biches qu'il faut apprivoiser. Qu'il faut longuement observer afin de pouvoir les approcher. Et elle expliquera que c'est l'un des nombreux visages que la vie peut enfiler.
Puis, Juju révèlera que ce n'est pas une obligation que de les charmer. Que l'on peut se contenter de les regarder, de les admirer. Les biches, mais pas seulement elles. Les cailloux et les mottes d'argile aussi, et les sangliers et les arbres. Et tout ce qui existe.
Et peut-être que Juju finira par se perdre dans cette béate contemplation. Ou peut-être tentera-t-elle d'apprivoiser tout ce qui se présentera à elle. Mais ce que Juju voudrait tout au fond de son petit cœur, c'est un peu des deux. Oui, Juju aspire au parfait mélange entre laisser l'histoire la porter et la construire, cette histoire. Telle est sa volonté.
Parfois, elle aimerait sauter certaines parties de l'histoire, toute impatiente qu'elle est, et ainsi avoir réponse à ses interrogations. Mais elle sait aussi que les réponses lointaines sont multiples et incertaines. Alors, elle apprend à aimer chaque partie de l'histoire. Même celle où l'heure est la plus sombre et l'espoir, une lueur vacillante.
Et Juju conclura ses déclamations comme suit : La vie est merveilleuse. C'est une sublime chienne de l'enfer ! Elle ne ménage personne, c'est ce qui fait d'elle la plus terrible des guerrières. Elle a pour chacune de ses manifestations le plus haut des respects. Et c'est pour cette raison qu'elle ne les épargne pas. Parce qu'elle les estime, elle ne retient pas ses coups et se donne entièrement. Et chaque coup porté contient son âme.
Alors, Juju souhaite lui rendre un égal respect. Elle veut donner son âme à la vie, avant de la donner à la mort.