Chocolate Chips

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Une douce lumière pénétrait dans la chambre à coucher en s'étalant sur le parquet comme une flaque argentée.
Je venais d'ouvrir l'oeil, encore somnolent, et peinais à m'étirer. J'étais encore tout emmitouflé dans ses draps blancs, bien au chaud dans sa couette de plumes d'oies.
J'hésitais à me lever.
Je le sentais gigoter à mes côtés.
Je ne voulais pas le réveiller, il avait l'air si calme, si serein, si innocent lorsqu'il dormait.
Il avait son nez tout froncé comme si quelque chose le démangeait, ses yeux s'agitaient vivement sous ses paupières aux longs cils, sa bouche était légèrement entrouverte, sa tignasse menthe en bataille cachant une bonne partie de son profil, celle qui n'était pas enfoncée dans l'oreiller.
J'aurais voulu blottir mon nez dans son cou et fermer de nouveau les yeux mais j'avais vraiment trop peur de le réveiller.

Je me levais donc après un long combat acharné avec les draps pour en trouver la sortie. J'avais sauté hors du lit et sans perdre un instant, je m'étais approché de la fenêtre. Elle était brumeuse, comme recouverte à l'intérieur d'un givre humide argenté. Dehors, l'aube pointait tout juste son nez derrière la ligne de l'horizon délimitée par les grands pins entourant son jardin. La lueur grise fantomatique qui s'élevait avec le soleil avait quelque chose de mystérieux et d'absolument enivrant.
Mais le plus merveilleux du tableau consistait en un fin tapis immaculé de toute trace. Comme si le char doré d'Helios avait décidé de recouvrir la terre d'un manteau d'hermine.

Quelques flocons tombaient encore du ciel. Une petite pluie de poussière d'ange qui recouvrait de sucre glace le toit des maisons.

Je crois bien que je n'avais jamais vu une telle chose. Autrefois avec le vieux, je restais enfermé à la maison toute la journée à traîner sur le canapé ou dans la cuisine dès que les feuilles commençaient à tomber. Les rares fois où l'on ouvrait la porte c'était pour qu'il aille chercher des bûches pour le poêle ou pour récupérer une livraison.

Après l'accident, les feuilles étaient tombées d'un coup, comme si même la nature était en deuil. Puis l'air s'était rafraîchit.

Lui ne sortait pas pour aller chercher des bûches. Il sortait toute la journée me laissant seul à grelotter. Certes, il me ramenait des pulls, des manteaux et même des chaussons à ma taille. Mais persistait un malaise.
Il m'avait accueilli chez lui malgré que les pompiers aient insistés lourdement pour m'emmener. Il m'avait laissé prendre une place dans sa vie. Pourtant il m'avait laissé ma chaîne. Comme pour me dire qu'il n'avait pas confiance ou que j'étais trop bizarre pour qu'il me libère.

Je n'avais pas protesté.
Essayer de croiser son regard constamment fixé dans le vague était peine perdue.
Et ce n'était pas faute d'avoir essayer de capter son attention.

Il m'avait ignoré.

Pendant longtemps.

Puis un jour il avait cédé.

C'était en pleine nuit. Il avait dû se lever pour boire un verre d'eau. La lune l'avait éclairé d'une façon bien particulière pour me permettre d'observer son visage cerné et creusé. Il m'avait vu, tout tremblant contre le pas de la porte du jardin. Il avait croisé mon regard qui lui intimait clairement de ne pas s'approcher. J'étais frustré, fatigué, affamé et surtout très en colère. Je savais très bien au fond de moi que je n'étais sûrement pas très important à ses yeux mais j'osais encore espérer qu'il allume au moins une cheminée, un poêle, rien qu'une petite source de chaleur.

Je m'étais rétracté, recroquevillé sur moi-même, le souffle légèrement trop court et les muscles crispés. Tandis que lui s'était accroupi juste devant moi en tendant la main. Une main innocente, blanche comme l'hiver et douce comme l'hirondelle du printemps. Son visage était neutre, peu confiant mais il persistait à avancer. Pas à pas jusqu'à ce ses doigts léger comme des plumes caressent ma joue. Un sourire immense avait fleurit sur son visage alors que je n'osais même plus respirer.

Doucement, sans mouvement brusque il avait glisser ses doigts le long de ma mâchoire, dessinant le contour de mon visage, jusqu'à se poser sur le haut de mon crâne. Sa tête s'était légèrement penchée sur le côté pour mieux m'observer et je n'avais pas eu le courage de faire autre chose que de planter mes yeux dans les siens.

Les siens brillaient avec la lune. Ils éclairaient son visage d'un air sombre et triste mêlé de tendresse et de joie. Il avait la mine sombe presque maladive mais son visage rayonnait presque.

Puis d'un coup les maillons de la chaîne avaient disparu et je m'étais retrouvé blottit dans ses bras. Il était monté jusque dans sa chambre sans jamais me lâcher. Puis m'avait délicatement déposé dans son lit.

Le mois de Novembre déclinait à vue d'oeil mais je ne m'en souciais guère j'avais gagné une place dans sa vie, une place tout près de lui au chaud dans son lit.

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Je voyais bien qu'il redoublait d'effort ces temps-ci. Il rentrait plus tôt, passait la soirée à mes côtés, de temps en temps il ouvrait son ordinateur pour travailler sans pour autant me chasser. Et puis chaque soir j'avais droit à un nouveau cadeau. Sûrement que le vieux n'y aurait jamais pensé. Il se serait contenté d'ouvrir une bière et de lire le journal sans me prêter attention.

Aujourd'hui, je l'attendais encore.

Je fixais la pendule depuis trois bonnes heures maintenant espérant à chaque seconde entendre la clef dans la serrure puis dépasser une touffe mentholée cachée sous un gros bonnet.

Il en mettait du temps aujourd'hui. D'habitude, il rentrait toujours à la même heure ou pratiquement.
Mais là il était en retard.
Sacrément en retard.
Et ça m'inquiétait.

Peut être aurait-ce été plus judicieux de dormir un peu mais j'étais bien trop impatient.

Soudain, le bruit merveilleux me parvint. Sans perdre un instant je me précipitais sur la porte.

Il était là dehors, couvert de neige, le nez tout rose mais un immense sourire collé sur le visage et un sachet à la main.
Il me prit dans ses bras mais j'étais décidément un vrai petit ingrat. Et je n'en avais que pour sa main et la délicieuse odeur qui s'en dégageait.

Sous son regard enjoué, il me regarda déballer ma surprise du jour. Un petit biscuit encore tout chaud du four. Et Dieu seul sait comme je raffole du chocolat. Un petit disque brun saupoudré de pépites de bonheur.

Il ne parlait pas mais ses yeux brillaient d'une lumière familière.

Comme si des millions de lucioles avaient décidé d'illuminer son sourire.

Un sourire qui disait: 《 Je suis rentré. Tu m'as manqué. Et j'ai enfin trouvé comment t'appeler. 》

CypherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant