Nightmare before Christmas

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Décembre

Une odeur de chaleur et d'excitation

Des lumières dorées dispersées dans les rues, sur le toit des maisons, suspendues aux balcons

Des rires, des pas lents et tranquilles sur le béton, le murmure du vent sous la veste et la friction des mains gelées

Le mois de l'année le plus convivial

Pourtant, il est seul

Il est toujours seul

La ville entière a recouvert son manteau d'hermine
Trois petits enfants ont ruiné mon beau jardin tout blanc, tout immaculé
Ils se sont élancés un matin sous la barrière en criant comme si c'était le plus beau jour de leur vie
Puis les traces de pas, la neige boueuse, les batailles acharnées dans leurs tranchées, les bonshommes qui fleurissent un peu plus chaque jour tout près de la clôture
Mais je ne dis rien, je n'ai rien dit
Après tout... Ce n'est pas vraiment mon jardin, pas plus que ma neige ou que ma propriété privée.

Alors je me contente de les regarder de la fenêtre et de soupirer. De soupirer et de m'ennuyer jusqu'à ce qu'il rentre. Il rentre tard. Peut-être que son travail lui demande plus de temps. Mais il me manque toute la journée alors lorsqu'il rentre, je me précipite directement sur lui pour fêter son arrivée. La première fois que je l'ai fait, je me souviens encore de sa tête toute ahurie, il avait sursauté et était tombé sur le tapis de velours rouge du palier. C'était tellement drôle de le voir paniquer alors que ce n'était que moi.

Aujourd'hui, sans savoir pourquoi, je savais qu'il rentrerait tôt. Il y a quelque chose de spécial dans l'air aujourd'hui. Comme si toute la ville, tous ces cœurs réunis battaient d'un même rythme. Comme si aujourd'hui était un jour spécial.

J'entendais depuis ma fenêtre du salon les rires des enfants et les reproches à peine murmurés des parents. J'entendais leurs petits pas sautillants sur les trottoirs gelés. Je les voyais se balader main dans la main comme si le temps n'avait plus aucune emprise sur eux. Emmitouflés dans leurs gros manteaux, leurs écharpes de laines, leurs bonnets à pompon et leurs gants bien chauds. Je voyais les étoiles qui brillaient dans leurs yeux à tous en regardant la neige tomber du ciel. Je voyais les plus téméraires courir devant pour essayer d'attraper vainement les flocons entre leurs mains. Je voyais les nuages de vapeur sortir d'entre leurs lèvres violettes largement étirées sur leurs visages radieux. Je pouvais presque sentir leur bonheur. Un sentiment chaleureux qui vous faisait monter les larmes aux yeux. Une sensation si agréable qu'elle vous poussait à mourir de froid pour être avec ceux que vous aimez. Un instant suspendu durant lequel plus personne ne pensait à rien.

Je ne me rappelle pas avoir jamais vu cette étincelle dans ses yeux à lui. Trois mois qu'il m'avait accueilli et je n'avais encore jamais vu ce sentiment extraordinaire exulter de sa poitrine comme la petite famille dehors ou les enfants dans le jardin. De temps en temps certes, il esquissait un sourire, mais jamais la lueur dans ses yeux n'avait reflété les flammes de la joie.

Je ne souhaitais rien de particulier. Je savais que j'avais déjà énormément de chance de ne pas être jeté dehors. Je ne voulais pas me permettre demander quoi que ce soit. Pourtant si j'avais eu la possibilité de faire un vœu, je n'aurais rien souhaité de plus qu'il soit heureux.

Mais les vœux sont des chimères. Rien n'existe si l'on ne s'en donne pas la peine. Je m'étais alors promis qu'avant de partir, je pourrais faire apparaître autre chose que ce masque impassible sur son visage.

****

J

'avais froid

Vraiment très froid

Je déambulais dans les ruelles de la petite ville attirant le regard des passants.
La nuit tombait peu à peu malgré l'heure encore relativement acceptable. S'allumaient alors les guirlandes luminescentes le long des maisons. Les petits jardins s'illuminaient de personnages métalliques, des rennes tirant un joli petit traîneau de bois rempli de cadeaux multicolores. Un peu plus loin, s'élevaient d'une fenêtre aux pochoirs de fausse neige en forme d'étoile et de petits sapins, les rires et les éclats de couverts qui s'entrechoquent.
Je m'étais timidement approché, suivant la douce odeur des marrons grillés, de l'écorce des épicéas et celle plus corsée d'un rôti tout juste cuit. Ils avaient l'air heureux. Tous autour de la table, les bougies à la lavande, les gâteaux secs en forme de Père Noël, le repas flamboyant, les paillettes saupoudrées au pied du sapin, les lampions et les boules de verre, le pain d'épices, le vin, les shamallows dans le chocolat chaud, les chaussettes suspendues à la cheminée brodées de fils rouge suivant les noms des petits chanceux, le regard bienveillant des adultes, le contact tendre du jeune couple, les rires enjoués des enfants réagissant aux pitreries du grand-père, le sourire mi-reprobateur de leur mère, celui aimant de leur père, la musique s'élevant de la nouvelle chaîne radio, les oranges percées de clous de girofle pendues aux fenêtres et les cannes en sucre d'orge traînant près du calendrier de l'avant éventré.

J'avais froid.

Il était toujours tout seul, lui.

Et je ne pouvais rien y faire en fin de compte.

J'avais froid.

Très froid.

****

Il ne s'était même pas fâché.

Il m'avait retrouvé. Réfugié dans un coin luttant contre l'air glacial. Il m'avait serré dans ses bras sous son gros manteau comme si de rien était. Je pleurais et lui me serrait contre son coeur. J'avais enfouis mon nez gelé dans ses cheveux menthe et il n'avait pas protesté.
Il était rentré à la maison.
Il y faisait chaud.
Mais chez lui, pas de sapin.
Pas de bonnes odeurs.
Pas de joie.
Pas de bon repas.

Juste lui et moi.

Il ne parlait pas. Il m'avait déposé sur son lit sans me lâcher. Il avait éteint le plafonnier mais ses yeux brillaient d'une lumière familière.

Comme si des millions de lucioles avaient décidé d'illuminer son visage.

Un regard qui disait: 《 Tout va bien, je suis là maintenant. Même s'il n'y a rien, c'est notre Noël. A toi et moi. Et c'est tout ce qui importe. Toi et moi. 》

Et je n'avais plus froid.

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 13, 2016 ⏰

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