Chapitre 1

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   C'était la première fois que je fêterais Halloween de ma vie. Jusqu'à ce jour, mes parents m'en avaient empêché car ils estimaient que cette fête était trop dangereuse et que de nombreuses personnes se cachaient sous un faux déguisement pour faire du mal à d'autres. Mais aujourd'hui ils n'étaient plus là, pas que je m'en réjouisse parce que ce traumatisme me faisait encore mal mais pour cette occasion j'appréciais. Mon meilleur ami devait arriver dans un instant pour que nous finalisions nos costumes. Je profitai de ces quelques minutes de répit pour me calmer.

   J'allumai une bougie parfumée, m'assis en tailleur juste devant et posais mes mains de chaque côté de cette bougie en inspirait la senteur qui montait dans l'air. Je m'efforçai de refaire le trajet au travers de mon corps de l'effluve de rose que je respirais. La tension que je sentais au sommet de ma colonne vertébrale s'évanouit peu à peu. Je sentis ma tête qui se redressait dans l'alignement de mon dos libéré, mes épaules qui retombaient sous la légèreté de ce qu'elles n'avaient plus dorénavant à supporter. Mon cœur ralentit et se mit à battre au rythme auquel ondulait la bougie. Mes poumons se vidaient et se remplissaient de la fraîcheur rosée de l'air environnant.

   Depuis le drame c'était devenu mon unique façon de lâcher prise. J'avais essayé les médicaments et les drogues pendant un temps mais la douleur ne disparaissait pas vraiment. Elle était toujours là, présente, guettant le moment où elle pourrait hurler et alors que les effets de la drogue diminuaient peu à peu, le cri de la douleur s'intensifiait. Il sommeillait dans mon coeur mais quand il se réveillait, il irradiait dans tout mon corps et dépassait même cette barrière par moments. Lors de ces fois, tout ce qui m'entourait perdait des couleurs, tout devenait grisâtre. L'alcool avait eu un effet assez similaire avec pour différence que la douleur disparaissait totalement pendant un temps pour reparaître au centuple lorsque l'alcool ne faisait plus effet. On aurait l'impression qu'une bougie parfumée ne pourrait rien contre le mal qui me rongeait, mais la rose était l'emblème de ma famille et la relaxation faisait bien plus que ce qu'on voulait bien lui accorder comme vertus.

   La sonnette retentit. Je soufflai sur la bougie, descendis les marches d'escaliers en courant et ouvris la porte. Marcus passa le seuil, m'attrapa par la taille et me fit tourner en l'air. C'était comme notre rituel depuis que nous nous connaissions, chaque fois qu'il me voyait il me portait. Alors du coup, au lycée nous passions pour être complètement fous mais ne vous fiez pas aux apparences, nous avions beaucoup d'amis. Mais parmi eux, il n'y a qu'à Marcus que je confierai ma vie.

   Il était grand, bien bâti, des cheveux blancs comme neige, généreux, compatissant et drôle à souhait. Je ne connaissais aucune fille qui ne lui faisait pas les yeux doux, mais nous deux, c'était différent. Je m'étais juré de ne jamais tomber amoureuse après l'enterrement et Marcus le savait. Lui-même était fou amoureux d'une fille qu'il ne reverrait probablement jamais, mais il ne pouvait l'oublier et chaque fois que nous n'étions que tous les deux à ne rien faire il commençait à divaguer et imaginer toutes sortes de scénarios dans lesquels ils se retrouvaient.

   Pour en revenir à Halloween, il ne nous restait plus que deux heures pour nous préparer. Nous allions à une fête donnée par une fille de notre classe et qui avait invité toutes les personnes de notre niveau. La soirée s'annonçait alcoolisée, amusante, folle mais surtout il fallait venir déguisé. Marcus qui avait un corps de demi-dieu avait choisi d'être un gladiateur. La température en cette fête des morts était relativement clémente et en tant que radiateur sur pattes, Marcus ne porterait que la jupe cuirassée des gladiateurs, des sandales de l'époque et une fausse épée autour de la taille. Il ajouterait un casque à sa tenue et j'étais chargée de faire toutes ses blessures.

   Quant à moi, j'avais décidé d'être Mary Stuart, décapitée. Ma robe était outrageusement décolletée mais cachait tout le reste, elle était d'un rouge éclatant et des fils dorés partaient du décolleté pour descendre jusqu'au bas de la robe où mes escarpins qui devaient être aussi hauts que la tour Eiffel évitaient à me robe de traîner à terre, mes cheveux étaient relevés en chignon décoiffé et retombaient en boucle sur mes épaules nues. Et de même pour moi, Marcus était chargé de peindre une décapitation autour de mon cou.

   Nous montâmes à l'étage et commençâmes à nous préparer. Nous nous changeâmes tous deux et le maquillage commença. Je pris une pâte spéciale que j'appliquai sur toute la largeur de son torse, puis pris une lame élimée pour ne pas le blesser et versai du faux sang sur le haut de la blessure. Le sang dégoulina le long de la blessure et continua un peu plus bas. Je me reculai de trois pas et observai mon oeuvre. Marcus portait bien son nom. Il avait vraiment l'air d'un gladiateur accoutré comme ça, un gladiateur prêt à en découdre. Puis ce fut mon tour.

   Marcus usa de la même technique tout autour de mon cou, il fit couler du faux sang dans ma plaie mais en mis également au-dessus et au-dessous de la blessure. Lorsque je regardai dans le miroir qui ornait un mur de ma chambre, j'eus l'impression d'avoir fait un bond dans le passé. Nous étions resplendissants. Avec comme qui dirait un sex-appeal plutôt important. L'alarme que j'avais programmée sur mon téléphone sonna.

   Il était l'heure.

Senteur de rose (petite pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant