Senteur de rose (petite pause)

Chapitre 2

   La voiture de mon frère nous déposa à une rue de la maison de Brooke. Les lampadaires éclairaient la rue d'une lueur blafarde mais la musique de la fête était tellement forte que nous pouvions l'entendre à plus de deux-cent mètres. Des gens affluaient de tous côtés, on voyait des sorcières, des bûcherons, des infirmières, des chirurgiens, des clowns, des jokers et que sais-je encore. Marcus et moi franchîmes le portail et nous fûmes assaillis par une vapeur d'alcool. Il y en avait tant que j'étais persuadée de rentrer bourrée sans même avoir bu une seule goutte. La chaleur humaine de la foule dansante autour et dans la maison venait me caresser la peau. Des frissons me parcoururent et je sentis l'excitation monter. Sans m'en rendre compte je commençai à danser. Mes bras ondulaient et volaient tout autour de moi. Mes pieds effectuaient des pas complexes que je n'aurai pas pu reproduire. Ma robe tournait, tournait, tournait.

   Subitement, ma danse effrénée fut stoppée dans son élan. Des yeux océans me fixaient depuis l'opposé de la partie de jardin dans laquelle je me trouvais. Dans l'obscurité je ne pus distinguer à qui ils appartenaient, si ce n'est à un mousquetaire. Je le vis s'avancer vers moi. Prise d'une peur soudaine, je cherchai la présence rassurante de Marcus à mes côtés, mais il avait été réquisitionné par Brooke. Je pouvais les voir tous deux, discutant au bord de la piscine, au milieu du jardin. Marcus méritait d'être heureux, je ne devais pas les déranger alors qu'ils commençaient juste à bien s'entendre. Lorsque je recentrai mon attention sur le mousquetaire, il n'était plus qu'à une dizaine de mètres de moi. Je m'enfuis.

   Je traversai le jardin à l'herbe glissante au pas de course, puis m'enfonçai dans la maison en slalomant entre tous les invités mais lorsque je me retournai pour m'assurer de ne pas avoir été suivie, je trébuchai sur mes escarpins et allais m'effondrer contre le mur du couloir dans lequel j'avais atterri si un bras puissant ne m'avait pas retenue. Mon mousquetaire était là. Il m'avait rattrapée à temps et je me retrouvai coincée entre son corps chaud et le mur. Je sentai son souffle sur ma joue, ses yeux étaient éclairés d'une lueur étrange, son corps était appuyé contre moi. Son visage n'était qu'à quelques centimètres du mien, je pouvais sentir la vague tension qui avait déferlé. Il suffisait que je fasse un mouvement pour l'embrasser mais alors que je m'avançai, portée par le désir, des souvenirs resurgirent et ma promesse me revint à l'esprit comme une claque.

   Je levai une main et vins la poser délicatement sur la bouche du mystérieux mousquetaire. Son léger baiser sur la pointe de mes doigts me surprit. Mais je me décalai et me libérai de son étreinte. Je m'apprêtais à le laisser pour la seconde fois lorsque sa voix m'arrêta.

<< Ne t'en vas pas Yora. >>

   Ce son me fit ressentir quelque chose que jamais je n'avais ressenti. Mon sang s'était transformé en miel onctueux, mes membres refusaient de bouger, ma voix était coincée dans ma gorge, mon cœur se mit à battre plus fort. Je secouai vivement la tête pour me défaire de cette sensation car ma mère m'avait bien trop décrit quel effet sa première rencontre avec mon père avait eu sur elle. Et en cet exact instant, je ressentais tous les symptômes. Je me retournai face au mousquetaire que je n'arrivais toujours pas à reconnaître. Je me redressai sur mes jambes et lui montrai que je n'étais plus en position d'infériorité. Ses yeux perçants me fixaient toujours.

<< Qui es-tu ? Lui demandai-je.

- Tu ne me reconnais pas ?

- Non. Je devrais ?

- Tu pourrais...

- Bon tu vas me dire qui t'es ? Parce que sinon je m'en vais !

- Tu me vois à chaque fois que tu viens faire tes devoirs ici avec Brooke.

- T'es son frère ?

- Oui, qui d'autre ? >>

   Brett avait une réputation peu glorieuse, aîné de Brooke de un an, il était plutôt bon élève de ce que j'avais entendu mais en dehors d'une salle de classe il devenait un prédateur sexuel. Pas étonnant qu'il m'ait fait cet effet-la, il avait beaucoup de charisme et attirait indubitablement toutes les filles qui passaient trop près. Mais pourquoi donc m'étais-je laissé avoir par lui. Il ne pouvait pas avoir de quelconques sentiments pour moi et je ne pouvais pas avoir de sentiments pour personne. Le sujet était clos. Je tournai les talons et partis. J'aperçus Marcus qui disait au revoir à Brooke, elle avait dû amener sur le tapis la question d'une relation plus qu'amicale entre eux deux et Marcus avais préféré s'éclipser pour ne pas lui donner d'explications. Je me dirigeai vers lui et lui attrapai la main.

<< Viens on s'en va, lui dis-je. >>

   Il ne protesta pas et me suivit. La fête était finie.