Mes peurs

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Je me réveille chaque matin avec ce mal au ventre, cette boule qui me donne envie de vomir. Je me lève et prie pour qu'on m'ignore comme chaque jour, je me dirige vers la salle de bain et regarde mon visage défiguré par la fatigue et les larmes qui coulent chaque soir, ce visage avec des cernes, ces yeux gonflés encore rougis, ces lèvres qui n'ont plus le sourire. J'enlève mon pull et mes sous-vêtements, j'entre dans la douche et fais couler l'eau. Je sens mon bras brûler, je baisse la tête et vois l'eau mêlée de sang... Ça doit être le sang de mon bras qui n'a pas bien séché. Oui, je me mutile chaque soir, je me défoule sur mon pauvre bras, personne ne le remarque, même mes propres parents croient que je suis une élève normale au lycée, que j'ai une vie d'étudiante habituelle, que j'ai mes petits problèmes d'adolescente, avec des amies sur qui compter. S'ils savaient... Je suis la fille qui ne parle jamais, que personne ne remarque, qui reste seule au fond de la classe, la fille "bizarre" comme ils disent. Je le fais car personne ne m'en empêche, personne ne se soucie de moi. Après m'être lavée et essuyée, je m'habille, comme d'habitude, je prends un jean troué aux genoux et un t-shirt noir qui tombe sur mon épaule gauche. Je me regarde dans le miroir où ma mère s'admire tous les matins avant de partir travailler, celui qui sert à savoir si elle est bien habillée, si elle a mis les bonnes chaussures avec ses habits. Moi je vois mon corps fin, qui ne tient plus debout. Je me maquille pour essayer de cacher mes cernes. Je sors de la salle de bain, prépare mes affaires de cours pour le lycée, prends mon livre de Stephen King, cet auteur me fait rêver et m'emmène dans ses histoires, loin de ma réalité et de ma vie si désordonnée. Je regarde ma montre : 6h27. L'heure où je pars, je prends mon sac, mets mes Converse usées et me dirige vers la porte d'entrée, comme chaque matin, je crie :
« J'y vais ! » »
« Bonne journée ! » - La réponse habituelle de ma mère.
J'ouvre la porte, regarde le ciel noir, des petites ombres blanches se fondent dans le décor, le soleil ne s'est pas encore levé, il a de la chance de ne pas voir la stupidité de l'humanité. Je m'apprête à vivre encore une journée dans ce monde de fou, ce monde où on critique sans arrêt. J'ai peur, je déteste ce monde, alors je crée le mien. Je sors de mes pensées et m'avance, et me revoilà dans la réalité, là où je me perds. Je vais jusqu'à mon arrêt de bus, je suis toute seule, ça m'arrange, je m'assois par terre, j'attends le bus. Je prends mon téléphone, mes écouteurs et j'écoute mon bon vieux Nirvana. Ces chansons me font penser à autre chose, les chansons de mon monde ; J'écoute aussi du rap, mais plutôt du rap conscient. Le paysage est brouillé, tout est calme, aucune voiture, aucun bruit. Mon bus est enfin là, je fouille dans la poche de mon jean, prends ma carte et la présente à mon chauffeur, j'avance tout au fond du bus, m'assois trois rangs avant les places du fond et pousse le volume dans mes écouteurs pour ne pas écouter ce "rap" horrible, ces chansons où les seules paroles qu'ont les chanteurs (si on peut appeler ça des chanteurs) sont des insultes. Pendant la route, je regarde par la fenêtre et admire le paysage : le monde n'est pas si horrible que ça quand on ne regarde que la nature. Mais quand on regarde les hommes, on regrette le monde d'aujourd'hui, le monde où les hommes s'entretuent pour savoir ce qu'il y a après la mort. À cause de ces hommes, les rêves n'ont plus le droit d'exister, l'espoir non plus. Dans ce monde, lorsqu'une petite lueur d'espoir apparaît, elle disparaît tout aussi vite. On dit souvent aux enfants de croire en leurs rêves, mais on leur ment. Les rêves ne devraient pas être crus. Ce sont des rêves. Ils font espérer et l'espoir n'est pas le bienvenu dans ce monde. Je suis arrivée devant mon lycée, j'entre pour me diriger directement dans ma salle de cours, à cette heure-là il n'y a que les "intellos" qui sont présents dans le lycée, je n'aime pas cette étiquette qu'on leur donne, "intellos", ce sont juste des lycéens qui travaillent bien pour avoir un métier hautement placé et être bien rémunérés. Je ne suis pas comme ça, je suis assez moyenne dans les études, je n'aime juste pas quand les couloirs sont remplis, alors je rentre avant. Arrivée dans ma salle de cours, je prends mon cahier et dessine, la sonnerie me fait sursauter, je vois alors entrer toute une bande de lycéens qui font croire qu'ils sont bêtes, qui jouent à celui qui divertira le plus la classe. Ils s'installent en attendant le professeur de mathématiques. Mes yeux sont attirés par une personne que je n'avais encore jamais vue : il a les yeux noirs intenses, les cheveux mi-longs, avec la mèche qui tombe sur ses yeux, un visage avec des traits parfaits, la mâchoire carrée, des lunettes qui lui donnent un côté mystérieux et sérieux. On dirait une poupée fabriquée spécialement pour les filles comme moi. Sharon arrête, ça doit être un de ces garçons qui veut sortir avec les plus populaires. Soudain, il me regarde et me fait un clin d'œil, je tourne la tête nerveusement, et rougis... Non mais qu'est-ce qu'il m'arrive ? Je respire et me concentre sur mon dessin, le professeur entre dans la salle et nous présente ce nouveau, Kevin Jones.
Le cours est long, alors je dessine, puis je jette des petits coups d'œil sur Kevin : ce type a vraiment l'air d'être trop sûr de lui, je déteste ce genre de personnes, qui pensent tout savoir, je ne le connais pas et il m'énerve déjà. Soudain, il se retourne et me regarde, je tourne la tête, par peur qu'il m'ait vue le regarder, et je me remets à mon dessin, troublée. Il faut que j'arrête et que je me concentre vraiment sur ce dessin. Avant, il habitait près de Montpellier et il a déménagé ici, à Marseille, enfin c'est ce qu'il a dit à toute la classe. Ça sonne, c'est la fin du cours, je range mes affaires. Je sens une main sur mon épaule, surprise par ce geste, je me retourne, puis je fais face à Kevin, il est grand...

Son visage est beaucoup plus beau de près.

« Salut, tu t'appelles ? »Je bafouille comme une enfant :« Euh... Salut...Sharon Wilest »« Dis, j'aimerais bien faire le tour du lycée, tu me le fais visiter ? »« Euh, je suis occupée et puis tu peux demander à une autre personne. »« Hé bien, tu es la dernière dans cette salle et je veux te connaître. »

Il me regarde d'un air sûr de lui, c'est la première fois que je parle à quelqu'un de ce lycée, et pourtant je suis en première année, tout le monde m'ignorait et c'était très bien avant qu'il arrive aujourd'hui. Il continue à me fixer.
« Alors ? »
Je le regarde d'un air agacé.
« Suis-moi. »
Je lui fais visiter le lycée, mais je n'ai pas l'impression qu'il m'écoute, mais plutôt qu'il me dévore des yeux. J'ai quoi sur la figure ? Mon maquillage, il est peut-être mal mis, ou alors j'ai un truc dans les cheveux. C'est la première fois que je me soucie de mon apparence... Pourquoi je réagis comme ça ? Après tout, je suis comme je suis. Après avoir vu le lycée, il va me laisser tranquille et il va aller voir les autres filles, il va m'oublier et tout rentrera dans l'ordre. Je finis enfin de lui présenter le lycée.

« Voilà, tu as vu toutes les salles, je peux te poser une question ? »

« Oui vas-y, je suis tellement intelligent que je pourrais répondre à toutes tes questions ! » - me dit-il en rigolantJe le regarde avec un sourire en coin.« Pourquoi tu es venu ici en plein milieu d'année ? »« Mon père travaille dans le gouvernement alors on a déménagé parce qu'il a été muté, enfin j'ai pas vraiment compris, de toute façon il n'est pas souvent à la maison. »

Je le regarde et souris, et après avoir remarqué que je souriais devant une personne autre que ma famille, je reprends alors mon sérieux.
« Je te laisse, le cours va commencer. »
« Il commence dans 10 min, reste et puis, je suis seul. »
« Bah va parler aux autres personnes, je ne suis pas la seule dans ce lycée. »
« T'es dure toi et t'es super froide, t'as un cœur de pierre pour les nouveaux ? Ou tu es toujours
comme ça ? »
Je pars et ignore sa question. Je traverse le lycée vide, aussi désertique qu'un no man's land lors de la Première Guerre mondiale. J'arrive dans la salle, je sors mes cours puis continue mon dessin avant que le cours commence, comme à chaque fois. Kevin arrive, va vers le professeur pour se présenter, puis il traverse toute la salle et s'assoit à côté de moi.
Je le regarde avec un air interrogateur, il regarde tout droit et me dit :
« Tu ne m'as pas répondu. »
« Kévin ? »
« Oui ? »

Je ne te connais absolument pas, tu es arrivé depuis à peine deux heures et tu m'agaces déjà. »Je tourne la tête et regarde le temps, il pleut. Ce matin tout était calme, maintenant la pluie fait résonner son chant à travers la fenêtre et envahit toute la salle.« C'est toi qui as dessiné ça ? »« Oui. »« C'est super bien fait, bravo. »« Merci... »

Je le regarde, il a un sourire magnifique, le genre de sourire qui reste toute la journée sur le visage et qui s'enlève une fois que l'on dort, le sourire que je n'ai jamais eu. Le professeur commence son cours et je me concentre sur celui-ci. Kevin me secoue le bras et me montre une feuille. Le cours passe et je parle avec Kevin sur cette fameuse feuille, il me parle de sa vie passée, de ses parents, de son père qui n'est jamais là et de sa mère qui râle quand il rentre trop tard. Tout le reste de la journée, il est resté avec moi et on a discuté de tout et de rien, ça sera peut-être mon premier ami, celui avec qui je passerai mes journées et celui à qui je raconterai tous mes petits secrets, celui qui me fera sortir de la vie que je mène tous les soirs. On sort du lycée, je dis au revoir à Kevin, je me dirige vers mon bus, me mets à ma place habituelle, mets mes écouteurs et écoute ma musique, je regarde par la fenêtre et je le vois fumer, un casque aux oreilles, il m'a dit qu'il aimait Nirvana aussi. On est peut-être pareil, ça fait bizarre de parler à une personne autre que mes parents ou ma tante, je dis tout à ma tante. Elle sait plus de choses sur moi que ma propre mère, c'est une sorte de deuxième mère, elle n'a que 27 ans, mais me connaît mieux que personne et me comprend. Je lui envoie un message et écris : " Justine, j'ai passé une journée bizarre, mouvementée. Un garçon est arrivé ce matin, il est nouveau, il s'appelle Kevin et il a voulu passer la journée avec moi. Je t'explique mieux après, je t'appelle vers 19h00 en sortant du bus, bisous."

Une dernière souffranceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant